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trésor égyptien fut invité à payer une indemnité de 124 millions. En y ajoutant la dépense de la lutte, chacun comprit que le sacrifice à subir par le gouvernement de l’Égypte était hors de proportion avec les avantages de sa victoire. On se demanda si réellement l’abolition de la corvée en était le prix. Un acte d’humanité ne saurait se payer trop cher ; mais l’humanité était-elle intéressée dans cette affaire, la première qui ait signalé l’apparition du nouveau gouvernement égyptien sur la scène politique ? Les gens défians crurent découvrir la raison de sa conduite dans son intérêt particulier. Le vice-roi d’Égypte possède personnellement la huitième partie des terres du pays, et, pendant la durée de son gouvernement, il n’a cessé d’accroître cette fortune territoriale, nous dirons par quelle douceur mêlée de force. Agriculteur et commerçant habile, disposant de capitaux considérables, il a su, par une intelligente exploitation, réaliser des bénéfices énormes. Les cultures industrielles, celle du coton spécialement pendant la guerre d’Amérique, ont enrichi son trésor. L’occasion de s’y livrer, opportunément saisie, a démontré les aptitudes de l’opulent propriétaire. Des cargaisons de produits, expédiées d’Égypte au bon moment et toute affaire cessante, même au moyen du séquestre momentané des chemins de fer, ont fait affluer au Caire des sommes très importantes ; mais pour entretenir le cours de ce Pactole, les ouvriers agricoles devaient continuer à retourner, à semer, planter et arroser les terres du vice-roi. Quelqu’un est-il convaincu que la corvée ait jamais été étrangère à leurs services ? Dans quelle proportion participaient-ils aux bénéfices de l’exploitation ? Leur sort différait-il beaucoup de celui d’esclaves attachés à la terre ? Voyait-on sur les immenses domaines de son altesse des fermiers, des valets de ferme, des ouvriers payés à la journée ? Non, dirait-on. La constitution de la société en Égypte ne comporte pas ces classes. D’accord, mais n’aurait-on pas dû faire la lumière sur ce point, décrire exactement et définir les rapports existant entre le réformateur et les corvéables, dire comment ceux-ci avaient été élevés à la dignité et aux privilèges d’hommes libres ? On eût apaisé les protestations de la conscience publique ; on eût prouvé la sincérité des revendications, et surtout on eût démontré ce qui importait le plus : l’amélioration véritable du sort de la population agricole. Il y a encore aujourd’hui des sceptiques qui ne croient pas à la suppression du travail obligatoire et gratuit en Égypte. La corvée rémunérée était, disent-ils, d’un mauvais exemple pour les cultivateurs égyptiens, soumis au travail forcé et gratuit, particulièrement sur les terres des grands propriétaires. Il fallait le faire cesser. Tel aurait été le but de la campagne dirigée contre le canal de Suez par l’habile général de son altesse,