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phthisie ; Ismaïl, brûlé vif dans une expédition au Soudan ; Mohammed-Saïd, emporté en quelques jours à l’âge de moins de quarante ans ; Abbas-Pacha, fils de Toussoum, étranglé dans son palais ; Achmet, frère aîné du vice-roi actuel, noyé dans le Nil par un accident de chemin de fer. Le trouble de ces événemens successifs fut augmenté aussitôt après l’avènement d’Ismaïl par un incident imprévu qui força le gouvernement nouveau à se prononcer plutôt qu’il ne l’aurait souhaité, entre l’Orient et l’Europe, en faveur de la civilisation et du christianisme.

Le vice-roi précédent, Mohammed-Saïd, était exempt de préjugés religieux : bon musulman, il ne partageait pas les haines irréconciliables de ses coreligionnaires ; ses ministres étaient Turcs ; ses cliens préférés, ses familiers étaient Européens. La vieille Turquie en ressentait un grand scandale. Exclue des emplois, elle attendait l’avènement d’Ismaïl comme le signal d’un retour au pouvoir. Ce prince, sans excès de zèle, n’avait pas pu décourager complètement cette espérance, car un héritier présomptif est toujours censé de l’opposition. Quand sonna l’heure de sa vice-royauté, les vieux Turcs s’exaltèrent ; leur ambition impatiente ranima le feu de la foi ; ils poussèrent le commun des croyans à une sorte d’insurrection contre la colonie européenne. A leur instigation, trois soldats fanatisés maltraitèrent sans provocation un Français dont la cause fut immédiatement prise en main par notre consul d’Alexandrie. Réparation fut demandée. Le gouvernement local, quoique innocent du méfait, hésita ; ce fut un tort, car cette irrésolution ne satisfit personne. Les coupables furent pourtant dégradés publiquement et exilés ; ils s’en tiraient à peu de frais et devaient s’estimer heureux d’avoir évité les coups de courbache, c’est-à-dire le knout égyptien. Donc le parti chrétien se considéra comme offensé, et le parti turc fut mécontent. Méhémet-Ali ne prenait pas tant de précautions malheureuses, le jour où il faisait charger à grands coups de canne, par sa police, le convoi d’un fidèle croyant qui, après son décès, refusait de traverser le quartier franc pour gagner sa dernière demeure. Les porteurs l’avaient posé à terre, à l’entrée du mouski, disant que leur mort ne voulait pas avancer dans la crainte d’être souillé par le contact impur des giaours. Le grand-pacha rectifia les idées posthumes de ce dévot musulman et lui rendit le mouvement à coups de bâton sur le dos des porteurs ! C’est qu’il avait l’esprit bien supérieur et bien libre de toute attache religieuse qui aurait gêné sa juste ambition. Mais depuis lors, — à l’exception d’Ibrahim et de Saïd, ses fils, — les gouverneurs de l’Égypte ont subi les Européens plutôt qu’ils ne les ont aimés.

Comment s’en étonnerait-on ? Le mahométisme et le