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domination moscovite à une telle distance de Moscou. Sébastien Cabot ne l’avait préparé à rien de pareil. Qu’importait, après tout ? Quel que fût le maître légitime de ces lieux, on ne lui apportait que la branche d’olivier ; on ne lui demandait que la faculté de commercer librement et en paix. Honnête et modeste requête, à coup sûr, venant d’un vaisseau aussi bien pourvu de mousquets, de piques et de canons que l’était le vaisseau de Richard Chancelor. « Les barbares promirent de transmettre cette requête à leur roi. » Bien des jours cependant se passèrent ; la réponse du roi ne cessait pas de se faire attendre. Chancelor, irrité, menaçait de poursuivre sa route quand on vint lui offrir, à sa grande surprise, de le conduire en personne à Moscou. Le pilote-major de la Compagnie des lieux inconnus eût pu suspecter sous cette proposition subite quelque embûche. Il n’en voulut voir que le côté avantageux et en dédaigna les périls. La saison était trop avancée pour lui laisser l’espoir d’arriver, avant le retour d’un nouveau printemps, à la cour de l’empereur du Cathay. Pouvait-il mieux utiliser l’hiver qu’en allant rendre visite à l’empereur de toutes les Russies ?

Tel était en effet un des titres, le titre suprême, de ce souverain dont les états s’étendaient déjà du 46e au 69e degré de latitude nord. Les pauvres riverains des bouches de la Dwina ne le désignaient jamais que sous le nom imposant de tsar[1]. Ivan IV était un tsar en effet, le seul tsar que reconnût désormais le majestueux ensemble des territoires compris entre la Caspienne et l’Océan-Glacial. Le grand-khan avait disparu. Il ne restait plus en face de l’Allemagne, de la Lithuanie, de la Suède, que le seigneur de Vladimir, de Moscou et de Novgorod, roi de Kazan et d’Astrakan, maître de Pleskof, grand-duc de Smolensk, de Tver, de l’Ingrie, de la Permie et de la Livonie, commandeur de la Sibérie et des parties septentrionales du globe.

Chancelor commença par conduire son vaisseau au fond de l’immense golfe que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Mer-Blanche, golfe qui à cette époque recevait son nom d’un monastère placé sous l’invocation de saint Nicolas. Ce monastère occupait le point où la branche occidentale de la Dwina, traînant après elle de vastes alluvions, vient se décharger dans la baie qu’elle obstrue chaque jour de nouveaux bancs de sable. Des bouches de la Dwina aux deux caps, séparés par un intervalle de 100 milles environ, qui marquent, l’un à l’ouest, l’autre à l’est, l’entrée et les limites de cette mer intérieure, on ne compte pas moins de 80 lieues. L’espace fut rapidement franchi par le Bonaventure, et Chancelor,

  1. Otesara ; suivant les Anglais, un roi qui ne paie de tribut à personne.