les Dardanelles et au besoin dans la Mer-Noire. Était-il digne de l’Angleterre et de la France de se tenir timidement devant la porte de derrière de la Turquie pendant que les Russes entraient de force dans l’antichambre ? Lord Aberdeen hésitait à violer le traité de 1841 ; la Russie, de son côté, disait à l’Europe que l’occupation des principautés n’était qu’une réponse à l’envoi des flottes française et anglaise devant les Dardanelles. Palmerston essaie de raidir l’épine dorsale de ses collègues, il fait un long mémorandum, le 12 juillet 1853, pour prouver que toutes les concessions sont inutiles et dangereuses ; la Russie est persuadée que l’Angleterre gronde, menace et ne se bat pas, son insolence n’a plus de bornes, « c’est le voleur qui déclare qu’il ne quittera la maison que quand le sergent de ville se sera d’abord retiré de la cour. »
La crise devenait de plus en plus aiguë. L’intimité de Palmerston avec l’ambassadeur de Russie était grande depuis 1840 ; il considérait Brunnow comme un homme « sage ; » il recommandait pourtant à lord Aberdeen (lettre du à octobre 1853) de conserver dans ses communications avec Brunnow un ton mystérieux, indéfini, incertain, de nature à augmenter ses alarmes. Le 5 octobre, la Porte déclara que, si les principautés n’étaient pas évacuées avant quinze jours, elle se considérait comme à l’état de guerre avec la Russie, et le 14 octobre les deux flottes française et anglaise franchirent les Dardanelles. Elles s’arrêtèrent à Constantinople ; ce n’était pas assez au gré de Palmerston : il voulait qu’on entrât du coup dans la Mer-Noire et qu’on fît une convention navale et militaire avec la Turquie. Suivant lui, on ne devait rien faire à demi ; il fallait ou se mettre avec la Russie, et jeter les Turcs en Asie-Mineure, ou maintenir la Turquie telle quelle.
On parlait encore de ressusciter la conférence de Vienne ; Palmerston s’y opposait : « Une conférence à Vienne, cela veut dire Buol, et Buol veut dire Meyendorf, et Meyendorf veut dire Nicholas. » Il était pressé de voir succéder à « l’âge d’or des notes diplomatiques l’âge de cuivre et de fer. » (Lettre à lord John Russell, 24 octobre 1853.) La guerre était commencée quand il se servait de ces mots ; la flotte turque fut brûlée le 30 novembre à Sinope. Qu’allaient faire l’Angleterre et la France ?
Palmerston veut qu’on déclare à la Russie qu’aussi longtemps que les troupes russes seront dans les principautés, les flottes française et anglaise brûleront tout vaisseau russe qui sortira des ports de la Mer-Noire. C’est la guerre ! exclamait lord Aberdeen ; il ne voulait pas de telles extrémités. Ne pouvait-on se contenter d’exercer une « pression » sur la Russie ? Palmerston donna sa démission le 15 décembre. On le rappela au bout de dix jours ; on s’était enfin décidé aux hostilités. Palmerston reparut comme le dieu Mars dans