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éphémère de lord Derby ; sa jachère politique fut donc vite terminée, et lord Aberdeen, chargé de refaire un cabinet, dut lui demander son concours. Il n’avait jamais rompu avec lord John Russell, bien qu’il eût déclaré positivement qu’il ne servirait plus dans un cabinet où. celui-ci serait premier ministre. Il accepta, sous lord Aberdeen, le ministère de l’intérieur ; les affaires étrangères avaient été données à lord Clarendon.

Il ne perd pas de vue, dans ses nouvelles fonctions, les grandes affaires de l’Europe : il est préoccupé de mettre l’Angleterre en état de défense, d’organiser les milices, d’augmenter la marine ; il a toujours un peu pour des « arrière-pensées de l’empereur des Français, dans l’âme duquel personne ne peut plonger ; » mais il se sent entraîné vers lui par un penchant secret ; il approuve son mariage, la franchise avec laquelle l’empereur se déclare un.« parvenu. » (Lettre du 31 janvier 1853.) Napoléon III le caressait de toutes manières ; un moment, il fut question de la retraite de Palmerston : il avait donné sa démission, en refusant de s’associer à un plan de réforme parlementaire proposé par lord John Russell, il trouvait le cabinet trop timide vis-à-vis de la Russie, quand, sur les instances de ses collègues, il consentit à rester, et l’ambassadeur de France lui écrivit tout de suite : « Au début de la campagne que nous allons faire ensemble, c’est un grand confort pour moi et une grande garantie pour l’empereur que de vous savoir l’âme des conseils de notre allié. Votre concours pèse d’un poids très réel dans la balance, et on sait à Paris en apprécier toute la valeur. »

Cette « campagne » dont parlait l’ambassadeur n’était encore que dans sa phase diplomatique ; mais de bonne heure Napoléon III et Palmerston avaient résolu de l’en faire sortir. Palmerston ne cessa de souffler la guerre ; il tenait une occasion unique, il avait un allié continental, celui dont l’armée avait alors le plus grand renom, il allait faire l’envers de Tilsitt, s’unir à un Napoléon contre la Russie, user l’ambition française dans des entreprises utiles à l’Angleterre. Comme il y a plaisir à voir une voile se tendre pour recevoir tout l’effort du vent, on éprouve une certaine sorte de satisfaction à voir un homme tirer le parti le plus complet des occasions que lui offre la fortune. La Russie s’était réjouie de voir le pugnace Palmerston hors du Foreign office ; mais il suivait le développement des affaires d’Orient d’aussi près que personne. Clarendon était le gant sous lequel se cachait la griffe palmerstonienne.

Le 2 juillet 1853, l’armée russe avait passé le Pruth et occupé les principautés danubiennes. Les escadres réunies de la France et de l’Angleterre se tenaient à l’entrée des Dardanelles, dans la baie de Besika. Le 4 juin, Palmerston écrivit une lettre pressante à lord Aberdeen : il fallait sur-le-champ, selon lui, envoyer les flottes dans