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ignore les principes du gouvernement, de la moralité et de la justice ; c’est un fait historique remarquable qu’une nation de 35 millions d’hommes, qui, depuis plus d’un demi-siècle, est dans cet état d’agitation politique qui d’ordinaire forme et fait surgir les hommes capables et qui a été pendant ce temps gouvernée par trois dynasties, n’ait pas un homme public que la nation regarde avec confiance et respecte, à cause de ses qualités d’homme d’état et de son caractère personnel, pas un prince que la majorité du peuple fasse quelque effort pour mettre sur le trône. Le principe de l’égalité a été poussé à bout sur un point, les hommes publics ont tous perdu le respect du peuple, les candidats à la royauté sont tous sans partisans. » Il continue ainsi, versant ses mépris dans le sein de son royal confident. Il n’épargne pas plus le reste de l’Europe : Metternich est l’homme dont parlait Bacon, qui ruine tout pour vouloir seul être un chiffre parmi des zéros. Il ne peut regretter de voir les Autrichiens chassés de l’Italie. « L’Italie est pour l’Autriche le talon d’Achille, et non le bouclier d’Ajax. » Il veut voir entre la France et l’Autriche une Italie du nord, unie, sans sympathie pour l’une ni pour l’autre (Lettre au roi Léopold du 15 juin 1848).

Dans ses dépêches à lord Ponsonby, il conseille à l’Autriche d’abandonner spontanément ses possessions italiennes et d’organiser immédiatement, fortement, le reste de son empire ; mais qui fera cette amputation ? L’Autriche n’a plus d’homme d’état. Il recommande l’abdication de l’empereur, celle de son frère, « qui ne vaut guère mieux ; » le neveu de l’empereur est bien jeune, mais on peut le mettre à cheval, le montrer au peuple et à l’armée, réchauffer en sa faveur l’enthousiasme que Metternich a éteint ; l’Autriche vaut la peine d’être sauvée (Lettres du 21 et du 28 avril 1848).

Les événemens ne répondirent pas tout de suite à la prophétie de Palmerston ; le maréchal Radetzky rentra dans Milan, et lord Palmerston s’empressa d’offrir la médiation anglaise aux vainqueurs et aux vaincus. Il essaya de persuader à l’Autriche de garder Venise, d’abandonner la Lombardie et d’accepter une indemnité pécuniaire. Il lui fit pour d’une intervention française. « Je ne désire pas voir les Français en Italie, écrit-il le 31 août 1848 à lord Ponsonby ; il y a beaucoup de fortes et puissantes raisons qui me font détester cette pensée ; mais j’aime encore mieux les y voir entrer que de voir les Autrichiens rester à Milan. » L’Italie n’a jamais été qu’un territoire conquis pour l’Autriche, une garnison. Ce n’est pas une autre Irlande, car en Irlande les races sont amalgamées, on parle anglais, tout ce qui est riche, intelligent, veut l’union avec l’Angleterre. « Je ne souhaite pas, écrit-il à lord Abercromby, voir l’Italie émancipée par les armes françaises, mais plutôt cela que rien. » L’heure de la délivrance n’avait pas encore sonné pour l’Italie, et après