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banat de Temesvár. Le confluent de la Tisza (Theiss) et du Danube d’une part, et celui de la Temes et du Danube d’autre part, sont entourés de populations serbes. Là aucune frontière naturelle ne les sépare des Magyars et des Roumains auxquels ils se mêlent. ils y ont été amenés par ce grand mouvement d’émigration qui a suivi la chute de l’empire serbe, par cette poussée qui les a rejetés en dehors de leur premier établissement, si bien que le centre historique de leur race et le foyer de leur puissance passée, le pays qui porte encore leur nom dans l’appellation de Vieille-Serbie (c’est le pachalik de Novi-Bazar) est aujourd’hui en partie albanais. Quoi qu’il arrive et surtout s’il se fonde un royaume de Serbie, les Serbes ne se maintiendront pas dans la Batchka et dans le banat, où déjà leur langue recule devant celles de leurs voisins. Ainsi dans la Batchka, le magyar avance et dans le banat l’allemand et le roumain, surtout ce dernier. Si la principauté de Serbie parvient à s’affranchir et à s’agrandir, il est probable que les Serbes hongrois reflueront en partie vers la Serbie et que le reste sera absorbé.

C’est un phénomène curieux de voir le progrès de l’élément roumain sur l’élément serbe dans le banat. Ce n’est du reste qu’un exemple particulier de la ténacité de l’élément latin et de ses victoires sur les autres élémens avec lesquels il entre en contact ; ainsi l’allemand recule devant l’italien en Tyrol et devant le français dans les vallées des Vosges. La nationalité roumaine a résisté pendant tout le moyen âge à l’influence slave qui avait pourtant profondément pénétré sa langue et sa liturgie ; elle résiste aux Allemands et aux Magyars de la Transylvanie, qu’elle élimine lentement ; elle absorbe les Serbes. « Il suffit, dit un proverbe serbe, qu’une femme roumaine vive dans une maison pour que toute la maison devienne roumaine. » Les Roumains n’apprennent pas la langue de leurs voisins et forcent ceux-ci à apprendre la leur. Cette transformation se fait presqu’à vue d’œil dans la partie serbo-roumaine du banat. Des villages, serbes il y a trente ans, sont aujourd’hui roumanisés ; les habitans ne parlent plus serbe qu’entre eux. Du reste, les races serbe et roumaine de la Hongrie n’entretiennent aucune hostilité ; bien plus rapprochées par l’identité de religion et par la lutte avec un ennemi commun, la domination magyare, elles font preuve de fraternité politique dans les élections et s’entendent pour porter ensemble les candidats qu’elles se partagent. Les Serbes votent ici pour le candidat roumain, les Roumains donnent là leurs voix au candidat serbe.

Ce n’est pas en effet sans difficulté que les nationalités de la Hongrie font passer leurs candidats malgré la pression et les manœuvres du gouvernement hongrois, et leurs chefs politiques