Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/859

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et aux libertés de la Croatie de rétablir l’antique dignité de ban) et elle la confia au baron Joseph Jélatchitch, colonel d’un des régimens des confins. Le gouvernement de Vienne, pour ne pas paraître subir la pression d’Agram en confirmant son choix, confia par décret à Jélatchitch les fonctions de ban. C’était du reste un homme dévoué à la maison d’Autriche. On sait le rôle qu’il joua l’année suivante dans les guerres de la Hongrie. La diète hongroise, aussitôt réunie, s’occupa des affaires croates ; mais, tout en laissant à la Croatie un régime distinct, elle exigeait que le magyar y devînt la langue de l’administration, et elle ne voulait tolérer l’emploi du croate que dans les affaires purement locales. Imposer la langue magyare à un pays qui ne l’avait pas connue jusque-là, et où il n’y avait pas de Magyars, c’était affirmer dès le premier jour l’intention de magyariser toutes les nations de la Hongrie. C’est ainsi que les Magyars entendaient la liberté.

Les Serbes commencèrent à s’agiter, des réunions se tinrent dans leurs villes ; on délibéra sur le moyen d’obtenir la reconnaissance de l’autonomie serbe. Ils se regardaient comme étant dans la même situation et aussi libres qu’à l’arrivée de Tchernoïévitch en Hongrie : ils voulaient le rétablissement de la dignité de patriarche et de celle de voïvode, et ils demandaient que leur territoire formât une province distincte sous le nom de voïvodina (principauté) serbe. Une députation fut envoyée à la diète pour lui remettre une pétition où ces demandes étaient formulées. Kossuth répondit que les nationalités seraient respectées, mais que la langue magyare pouvait et devait seule les réunir. C’était contradictoire. Les membres de la députation allèrent trouver Kossuth chez lui pour ouvrir des négociations ; ils n’en purent rien obtenir. « En pareil cas, s’écria Kossuth, l’épée seule peut décider ! »

Quelques jours après, la diète votait l’égalité des cultes, le libre exercice du culte catholique de rite oriental et la convocation d’un congrès ecclésiastique serbe. Elle pensait satisfaire les Serbes par ces mesures ; mais ces derniers poussaient trop loin leurs revendications pour être satisfaits de ces concessions. Ils acceptèrent la provocation de Kossuth, et les villes serbes se prononcèrent contre le gouvernement hongrois. Le métropolitain Rajatchitch était un vieillard ami de la tranquillité ; mais, forcé par son peuple de prendre la direction du mouvement, il convoqua un congrès à Carlovci pour le 13 mai. Les revendications des Serbes ayant échoué auprès du parlement hongrois, l’assemblée décida de les présenter à Vienne à l’empereur-roi. Bien plus, le congrès résolut d’élire d’ores et déjà un patriarche et un voïvode. Le patriarche fut le métropolitain, et le voïvode Etienne Chouplikatz, colonel du régiment d’Ogulin. L’assemblée émit en même temps un vœu pour la