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publics et dans les écoles. » A partir de cette époque, les écrivains croates et serbes ont employé l’expression générique de Slaves du sud (Jougo-Slaves), et le gouvernement autrichien a bien voulu ne pas s’en alarmer. Un écrivain autrichien n’a pas craint de se rendre grotesque en racontant gravement que le pacha de Bosnie aurait écrit au commandant général d’Agram pour se plaindre de la propagande de Gaj !

Les Croates et les Serbes n’étaient pas les seules nations de la Hongrie chez lesquelles le mouvement national s’unissait à une renaissance littéraire. Dans le nord de la Hongrie, un autre peuple slave, les Slovaques, donnaient le même exemple ; les Ruthènes seuls restaient en arrière, et c’était le moment où les Magyars rejetant enfin la vieille langue officielle de la Hongrie, le latin, imposaient le magyar à la diète, à l’administration, aux registres de paroisse. La lutte s’accentue entre les différentes nationalités, et principalement entre Magyars et Slaves. Dès 1840, c’est une guerre de paroles, de discours et de brochures. La discorde prépare ainsi la voie à la guerre civile que va provoquer l’ébranlement de 1848.


IV

La révolution de mars 1848 à Vienne et les événemens qui la suivirent causèrent une grande émotion, mais aussi une grande confusion d’idées en Hongrie. Le lendemain des révolutions, on croit aisément que l’âge d’or commence : la justice et la liberté vont seules régner sur la terre ! Bientôt on s’aperçoit que chacun entend ces grands mots à sa manière, et l’enthousiasme se change souvent en guerre civile. En Hongrie, les haines nationales s’apaisèrent tout d’un coup. Toutes les nations de la Hongrie n’allaient-elles pas profiter de l’ère de liberté qui s’ouvrait ? Dans cet enthousiasme universel, les Serbes de plusieurs villes adressèrent des adresses de confiance au ministère hongrois. Les confins, soumis au régime militaire, restèrent en dehors de ce mouvement, à l’exception de leurs petites villes, qui jouissaient d’une sorte de franchise et où il s’était formé une petite bourgeoisie.

C’est en Croatie que le désenchantement se produisit le plus tôt. Pour les Croates, la liberté dont l’aurore se levait, c’était la reconstitution et l’indépendance de l’ancien « royaume triple et un » regnum trinum et unum, c’est-à-dire l’union politique de la Croatie, de la Slavonie et de la Dalmatie. Un comité croate, dirigé par Gaj, convoqua une assemblée de patriotes croates, slavons et dalmates. Cette assemblée, d’origine révolutionnaire, se réunit à Agram le 25 mars, se prononça pour le maintien des liens assez lâches qui unissaient la Croatie à la Hongrie, mais elle déclara nécessaire à la sécurité