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voulait leur donner après tous les députés, même laïques, quand les prélats catholiques formaient un ordre à part, ayant le pas sur tous les autres. Les Serbes n’eurent pas davantage dans l’administration centrale les places que leur promettait la loi de 1792. Cinquante ans plus tard, en 1843, le métropolitain serbe Rajatchitch protestait à la diète contre l’exclusion des emplois qui atteignait en fait ses compatriotes et ses coreligionnaires. « Quelque grands, disait-il, que soient le royaume de Hongrie et les pays qui y sont annexés, quelle que soit la multitude de places qui existent dans les conseils auliques et dans les autres corps chargés de la justice et de l’administration publique, on n’y trouve nulle part, à l’exception de deux secrétaires, un seul adhérent du culte grec oriental, pas un président, pas un conseiller, pas un seul fonctionnaire judiciaire ou politique d’ordre supérieur. Toutes les dignités, les charges lucratives et tous les honneurs sont plus ou moins partagés, mais seulement entre les catholiques et les protestans. Quant aux grecs-orientaux, ils ne peuvent chercher fortune que dans les camps ou dans les monastères. »

La loi de 1791 devait régler la situation des Serbes jusqu’en 1848. Ni le tumulte des guerres de l’empire, ni la longue période de l’absolutisme autrichien n’étaient favorables à un nouveau règlement en leur faveur. Les Serbes prirent part avec courage et fidélité à toutes les guerres de l’Autriche, et ils lui donnèrent plusieurs hommes de guerre qui tinrent une place honorable dans les rangs supérieurs de l’armée. Les Magyars se préparaient peu à peu à faire de leur langue la langue politique et officielle de la Hongrie. Les langues des autres nations de la Hongrie se développaient en même temps. La différence et les conflits de nationalités s’accentuaient ainsi davantage. C’est le moment où se fonde la littérature serbe.


III

La littérature serbe n’est pas née en Serbie ; elle est née en Hongrie à la fin du siècle dernier. Les Serbes de l’autre côté de la Save étaient encore sous cette domination ottomane qui, comme le mancenillier, fait la mort sous son ombre, et la tribu des Serbes monténégrins vivait libre, mais barbare, dans ses montagnes. Le premier Serbe qui écrivit sa langue fut Dosithée Obradovitch, né au village de Tchakovo, dans le banat de Temesvár, en 1739. Il s’affranchit de la tyrannie du slavon ecclésiastique pour écrire dans la langue parlée. Le slavon joue en effet dans l’histoire littéraire des peuples slaves orthodoxes le même rôle que le latin dans l’histoire des littératures romanes. C’est la langue de l’église, et par suite la langue des clercs, qui seuls écrivent dans les sociétés encore