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le groupe composé du père, de la mère et des enfans, mais des zadrougas ou communautés de famille telles qu’elles existaient chez les Serbes et telles qu’elles se conservèrent dans les confins militaires[1]. On doit donc évaluer entre 400,000 et 500,000 le nombre d’individus qui formèrent cette immigration. On les installa non pas seulement sur les bords de la Maros, mais aussi en Slavonie, en Sirmie, dans la Batchka et jusque dans les environs de Bude et de Saint-André. La destinée de ce peuple de soldats était désormais liée à celle de l’Autriche, qu’il servit dans toutes ses guerres, guerres civiles et guerres étrangères. Comme on peut le penser, il reçut plus tard de nouvelles troupes d’immigrans ; ainsi, en 1738, Athanase Rochkovitch amenait en Hongrie une troupe de 1,500 hommes tout organisée. En 1788, un grand nombre de familles passèrent le Danube ou la Save pour se réfugier en territoire hongrois ou croate. Ce n’étaient pas non plus des vagabonds, car ils apportaient avec eux leurs biens sous forme de troupeaux de bétail de toute sorte. Quelque temps après la grande immigration fut conclue la paix de Carlovci (Carlowitz) en 1699. Les impériaux conservaient leurs conquêtes : la Transylvanie, la partie septentrionale du banat et une partie de la Sirmie ; les Turcs gardaient Temesvár et le pays qui sépare cette forteresse du Danube.


II

Dès qu’elle fut fixée sur le sol hongrois, la nation du patriarche Tchernoïévitch eut à lutter pour son autonomie et pour ses franchises, surtout contre les Magyars, mais aussi pourtant contre le pouvoir de Vienne. Léopold, comme empereur et comme roi de Hongrie, lui avait accordé des privilèges, et les Serbes ne regardaient ceux-ci que comme les stipulations d’une sorte de contrat. On peut penser quelle mauvaise entente fut le résultat de cette divergence d’opinion. Les Serbes se regardaient comme une nation alliée, établie d’un mutuel accord sur les terres de la Hongrie. L’empereur et la diète de Hongrie les regardaient comme de nouveaux sujets, protégés seulement par certaines immunités. En dehors des concessions faites à la nation entière, Léopold accorda des franchises particulières à certaines communautés serbes, par exemple aux Serbes de Bude, nombreux alors. Les droits particuliers et les concessions partielles de l’autorité, connus sous le nom de privilèges, étaient la base ordinaire de la vie sociale et communale dans toute société féodale.

La première déception des Serbes fut de ne pas être installés dans un territoire distinct. En 1703, le patriarche adressa à

  1. Sur les confins, voyez l’étude de M. Perrot dans la Revue du 1er novembre 1869.