Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/842

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

promettait, mais en termes ambigus par leur généralité, une organisation privilégiée et conforme à leurs traditions nationales. « Ainsi donc, disait-il en terminant, entrez sans crainte dans notre empire, abandonnez votre pays et le travail de vos champs, invitez vos frères à suivre votre exemple, saisissez cette occasion que Dieu et moi nous vous offrons et qui ne se représentera plus. Saisissez-la si vous voulez votre bien, celui de vos enfans et de votre chère patrie. » Et en même temps qu’il lançait cette proclamation, l’empereur écrivait au patriarche Arsène pour lui offrir de s’établir en Hongrie avec son peuple. Le patriarche avait quelque défiance d’une persécution religieuse dans l’avenir. Léopold lui écrivit de nouveau pour l’assurer que l’église orientale jouirait d’une pleine liberté.

Le patriarche vint en Hongrie continuer ces négociations. Les Serbes réclamaient le droit d’élire un voïvode. Léopold le leur promettait dans sa proclamation, mais il ne voulait pas en réalité leur accorder une existence complètement nationale. Il ne prenait pas ombrage d’un patriarche, d’un chef religieux ; ce n’en eût pas été de même d’un chef laïque et militaire. Pour résoudre la difficulté par un compromis, l’empereur ratifia le choix que les Serbes avaient fait de Jean Monasterli comme voïvode, en lui reconnaissant seulement le titre de vice-voïvode. Quoi que les Serbes dussent penser de ces restrictions, ce ne pouvait être pour eux un motif de renoncer à leur plan d’émigration. Le patriarche Tchernoïévitch annonça la prochaine arrivée de familles émigrantes, et les années 1692 et 1693 furent employées par l’administration autrichienne à déterminer les terres concédées aux immigrans. Il fut décidé que la population serbe serait cantonnée entre le Danube et la rive gauche de la Theiss, et aussi au nord de la Maros. Elle serait assurée de son indépendance, ne serait soumise qu’au pouvoir impérial, et n’aurait pas à reconnaître l’autorité des comitats hongrois ni des seigneurs féodaux. De plus, si les armées victorieuses de l’empereur parvenaient à chasser les Turcs dès pays où les Serbes résidaient présentement, ceux-ci auraient la faculté d’y retourner. Comme le disait au siècle dernier un ministre autrichien, Bartenstein : « Il ne s’agissait pas de recueillir des fugitifs ou de leur abandonner des terres désertes, mais d’amener des gens établis, qui vivaient dans l’aisance, qui n’étaient pas inquiétés dans l’exercice de leur religion, à passer, au péril de leur vie et de leurs biens, de la domination turque sous la nôtre. »

L’Autriche était alors en guerre avec les Turcs, mais les opérations militaires étaient momentanément ralenties, et cette circonstance permit aux Serbes d’outre-Save de passer en Hongrie. Ils vinrent, disent les historiens du temps, au nombre de 35,000 à 40,000 familles. Par ce mot de famille, il faut entendre ici non pas