Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Byron lui plaisait médiocrement et Carlyle encore moins. Grand lecteur de romans, même des plus absurdes, il était resté fidèle aux admirations de son enfance, où Richardson et miss Austen tenaient le premier rang. En matière de littérature, il était conservateur et peu curieux de nouveautés. L’inconnu ne l’attirait pas, ni les hautes spéculations non plus. On peut le regretter, mais il faut ajouter qu’ayant conscience de ce qui lui manquait à cet égard, il ne s’aventurait que rarement au-delà des limites de son génie propre : « Je n’ai jamais écrit, disait-il, une page de critique sur la poésie ou sur les arts, que je ne fusse prêt à brûler si je le pouvais. » On le voit, Macaulay ne s’ignorait pas. Il n’avait pas toutes les qualités du critique, car la faculté d’analyse lui faisait défaut, mais il était né pour l’histoire ou pour l’essai. Il a mis dans l’une tout l’intérêt du roman, grâce à l’incomparable talent de narration qu’il tenait de la nature et de l’étude, et l’on sait comment il a fait de l’autre une création originale. Quant aux fautes de son style, quelque nombreuses qu’elles soient, une qualité les rachète sans laquelle tout le reste n’est rien, c’est-à-dire le charme. On a dit, non sans une certaine ironie, que la raison principale de son succès c’avait été l’immense quantité de faits, de portraits, de digressions qu’il excelle à faire entrer dans la trame de ses compositions, et que pour bien des gens plus occupés d’affaires que de littérature, ses essais formaient une bibliothèque portative. Rien n’est plus vrai ; seulement ne serait-ce pas là le plus beau des éloges ? Quel chemin en effet le savant écrivain ne fait-il pas faire à son sujet ! Avec quelle aisance il promène son lecteur dans tous les coins du monde à propos de Temple ou de Milton, et quel panorama de souvenirs, d’allusions et d’images il déroule en un instant sous ses yeux éblouis ! Au fond, c’est peut-être là ce qui fait tort à Macaulay. Moins clair, et il est si facile d’être obscur, il paraîtrait plus profond ; moins brillant, il semblerait plus grave, et moins intéressant on le trouverait plus philosophe. Ce qu’on ne peut nier, c’est l’influence qu’il a exercée sur la littérature périodique de son temps et du nôtre. Les journaux et les revues gardent encore la trace de son passage, et c’est en l’imitant qu’on lui fait son procès. Il est plus aisé sans doute de lui prendre ses défauts que ses beautés, mais ce n’est pas sa faute. Si l’on en croit les prédictions de la critique, il restera plus longtemps dans la mémoire des hommes par ses essais que par son histoire. Il est possible en effet que la postérité balance entre l’essayiste et l’historien ; mais il est un titre au moins qu’elle ne marchandera pas à Macaulay, c’est celui de grand prosateur.


LEON BOUCHER.