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et écrivent si librement aujourd’hui ce qui arrive à chaque âge à son tour : il est probable qu’ils ont raison par quelque côté, et qu’en somme ils exagèrent. Ils paraissent en particulier négliger à tort certaines distinctions sans lesquelles leurs griefs trop étendus, mal définis, deviennent injustes et portent à faux. N’appellera-t-on par exemple du nom d’élèves en fait d’enseignement supérieur, d’instruction philosophique et morale, que les jeunes gens qui approcheront du maître en des conférences où ils aient leur tour de parole, et qui lui remettront des « devoirs à corriger ? » Voilà qui serait trop puéril et qui marquerait trop peu de foi dans l’influence de la parole et de la science. Croit-on donc que nos collègues de la Sorbonne ou du Collège de France, ceux de nos facultés des départemens dont on connaît les noms ici même et à l’Institut par leurs travaux, ne puissent citer autour d’eux et loin d’eux de chers disciples, dévoués à leurs doctrines, gagnés par leur caractère, leurs leçons et leurs livres ? A des déclarations tranchantes, il nous prend envie d’opposer une assertion formelle toute contraire, et que nous croirions volontiers incontestable : c’est qu’à aucune époque précédente cette partie de l’enseignement qui répond à la haute culture philosophique, littéraire et morale n’a été plus sérieusement représentée qu’elle ne l’est aujourd’hui dans nos facultés des lettres. En quel pays trouvera-t-on, pour ce qui concerne l’histoire de la littérature nationale, une organisation meilleure d’exégèse constante, confiée à des hommes offrant plus de garanties d’instruction générale et spéciale, d’intelligence et de goût ? Est-ce une médiocre institution, et de peu d’influence sur le niveau général, que celle de ces nombreuses chaires, gardiennes et interprètes dans toutes nos grandes villes d’un trésor tel que celui des lettres françaises ? Sur quoi nos réformateurs trouveront-ils à redire en ce qui concerne l’enseignement de la philosophie, tel qu’il est constitué dans les facultés de l’état ? Les principaux, maîtres à qui cet enseignement est confié, à Paris ou ailleurs, sont-ils assez connus par leur parole et par leurs travaux ? Sont-ils assez respectés pour leur élévation et leur sûreté de doctrine, pour leur sévère dialectique, pour leur fermeté d’esprit ? Nous n’avons pas besoin de nommer ceux que chacun a nommés déjà ; il n’y a pas d’université étrangère, vivante et plus ou moins impartiale, qui ne tienne un grand compte de ce qu’ils écrivent ou professent ; certaines vivent de leur pensée, et c’est, à vrai dire, une manie étrange que de s’acharner à médire entre nous de ce que l’Europe nous envie. Nous cherchons en vain quel utile changement pédagogique on pourra vouloir proposer pour cette partie de notre enseignement supérieur, à moins qu’on ne propose d’aller philosopher sous les portiques, comme Zénon, ou comme Socrate, dans les boutiques des rues.