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que, ce même jour, prenant congé de la duchesse de Kent, la reine et son mari se rendirent au château de Windsor, partout, dans les rues, sur les places, et non-seulement à Londres, mais aux champs, loin de la ville, le carrosse royal dut circuler entre des haies profondes de spectateur, enthousiastes. Tout le long de la route de Windsor, des gentlemen à cheval accompagnaient l’auguste couple. À Eton, l’illustre collège, tous les élèves sortirent de l’enceinte et, courant, galopant, formèrent de chaque côté des portières comme une double colonne de horse-guards, on devine si ce juvénile appoint fortifia le crescendo des hourras.

Ce n’étaient là pourtant que des explosions locales ; il y a quelque chose de bien plus expressif encore dans ce frémissement silencieux de joie et de tendresse que toute la nation ressentit d’un bout du royaume à l’autre. On sait combien les Anglais ont le sentiment de la vie de famille ; avec quelle grâce les romanciers et les poètes, surtout depuis Cowper et Woodsworth, n’ont-ils pas fait vibrer les cordes intimes ! L’Angleterre politique, dans son rude bon sens, était impatiente de voir la reine se donner un soutien ; l’Angleterre tout entière, dans son poétique sentiment de l’amour, fut attendrie et charmée par le roman de la reine. À voir ce jeune prince, dans la fleur de ses vingt et un ans, emmener ainsi la jeune épouse à l’abri des hautes tours gothiques de Windsor, toute la vieille Angleterre en reçut comme un rayon de soleil, La terre britannique semblait transfigurée, les fraîches prairies étaient plus fraîches, les doux cottages étaient plus doux. Lord Melbourne, si peu romantique pourtant, le sceptique lord Melbourne ne put s’empêcher de signaler à la reine la cause de cet épanouissement général. Ministre de l’intérieur, il recevait chaque jour des rapports sur les manifestations du sentiment public. « Madame, dit-il un jour à la souveraine, votre majesté sait-elle pourquoi son mariage produit une telle impression de félicité radieuse ? C’est qu’on y voit bien autre chose que la froide raison d’état. »

Cette joie offrait un tel caractère que les mécontens même, à supposer qu’il y en eût ça et là, n’auraient osé paraître. Si jamais on put parler d’unanimité à propos des sentimens d’un peuple, ce fut en ce mois de février 1840. Le prince Albert le sentit bien ; il comprit aussi que cette unanimité imposait un grand devoir à la reine. Se pouvait-il que la royauté fût soupçonnée seulement de favoriser tel ou tel parti politique ? Non, la reine se devait à tous, la reine ne devait pas avoir d’autre drapeau que le drapeau de l’Angleterre, d’autre vœu que le vœu du parlement. C’est à lord Melbourne que le prince Albert exprimait un jour cette idée, et lord Melbourne, dans un sentiment désintéressé qui lui fait grand honneur, l’encourageait de toutes ses forces à faire prévaloir cette politique. Il