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manœuvre tant soit peu sénile ; quelques jours après, Stockmar recevait de lord Palmerston un billet ainsi conçu : « En toute hâte. Pouvez-vous me dire si le prince Albert appartient à une secte protestante dont les dogmes ne lui permettraient pas de recevoir la communion d’après le rite de l’église anglicane ? » ce qui prouve que, le soupçon de catholicisme écarté, les tories, dans leur intolérance, s’acharnaient encore à poursuivre l’infidélité du prince Albert. Stockmar répondit sur-le-champ que le prince n’appartenait à aucune secte et que, pour le rite de la communion, il n’y avait aucune différence essentielle entre l’église protestante allemande et l’église anglicane. « Cette déclaration, ajoute-t-il, mit fin à tous les scrupules. Et Dieu sait, par le fanatisme qui court, quelles horribles sottises on eût débitées à ce sujet, si Palmerston avec cette réponse décisive n’eût pu fermer la bouche aux malintentionnés ! »

La question de la liste civile du prince donna lieu à des débats plus vifs encore et produisit des résultats bien autrement fâcheux. Le ministère proposait d’accorder au prince une somme annuelle de 50,000 livres (1,250,000 francs). Lord Melbourne, avec sa légèreté habituelle, avait affirmé à la reine que le cabinet ne prévoyait aucune difficulté à ce sujet, sauf peut-être pour le cas de survivance du prince[1]. Cette confiance lui venait de ce qui avait été décidé en des circonstances analogues. La reine Caroline, femme de George II, la reine Charlotte, femme de George III, la reine Adélaïde, femme de Guillaume IV, avaient reçu chacune du parlement une liste civile de 50,000 livres. La même somme avait été assignée au prince Léopold lorsqu’il avait épousé la future héritière du trône. Seulement lord Melbourne oubliait que le gouvernement parlementaire, même chez les peuples les plus attachés à la tradition, est toujours une terre mouvante. Il faut sans cesse affermir le sol où l’on marche, sans cesse prévoir et prévenir le danger. Royer-Collard l’a dit avec sa précision magistrale : le gouvernement constitutionnel n’est pas une tente dressée pour le sommeil. Lord Melbourne, qui dormait volontiers, ne s’était pas encore aperçu que la colère des tories, passant par-dessus sa tête, allait atteindre la reine et le prince Albert. Le doux seigneur Pococurante fut réveillé d’une façon assez rude lorsqu’il vit s’accomplir sur cette question l’alliance, très inattendue assurément, des tories et des radicaux. Un député radical, M. Hume, rédigea un amendement qui réduisait à 21,000 livres la liste civile du prince ; un député tory, ou plutôt ultra-tory, comme dit Stockmar, M. le colonel Sibthorpe, éleva un peu cette somme et proposa de voter 30,000 livres.

  1. The early years of the Prince-consort, p. 251.