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« C’est ce portrait, dit-elle, qui me donna du courage en présence du conseil. »

La déclaration préparée par lord Melbourne était rédigée en termes très simples et très dignes. La reine disait qu’elle avait rassemblé le conseil pour l’informer de sa résolution dans un sujet qui intéressait profondément et la prospérité de son peuple et le bonheur de sa propre vie. Son intention était de s’unir en mariage avec le prince de Saxe-Cobourg-Gotha. Profondément émue de la solennité de l’engagement qu’elle allait contracter, elle n’avait pas pris cette décision sans y avoir mûrement réfléchi ni sans avoir acquis la ferme confiance que ce mariage, avec la bénédiction du Dieu tout-puissant, assurerait sa félicité domestique et servirait les intérêts de son pays.

Deux mois après, le 16 janvier 1840, ce ne fut pas devant les quatre-vingt-trois membres du conseil privé, ce fut devant tous les membres du parlement, devant la chambre des lords et la chambre des communes que la reine renouvela cette déclaration. Ce jour-là, elle ouvrait le parlement en personne. Jamais on n’avait vu l’assemblée si nombreuse, jamais les tribunes si brillantes, jamais non plus la route que devait parcourir le carrosse royal de Buckingham-Palace à Westminster n’avait retenti de pareilles acclamations. Ce n’était assurément ni l’insignifiant Guillaume IV, ni George IV le méprisé, ni George III le pauvre fou, encore moins les deux premiers George, auxquels on dut arracher une à une les libertés publiques, ce n’était, dis-je, aucun de ces rois qui avait pu être accueilli avec un tel enthousiasme. Plus d’une fois en ces jours de solennité parlementaire, le cortège royal fut assailli de huées ; plus d’une fois les ministres furent obligés de prendre des mesures pour protéger contre l’insulte la voiture du souverain. C’était sous le régent, il est vrai, avant les grandes réformes qui désarmèrent l’émeute. Quel contraste aujourd’hui avec ces scènes d’il y a vingt ans ! Qu’il y a loin de l’année 1820 au 16 janvier 1840 ! On sait que la reine va faire part de son projet de mariage aux représentans du pays, et déjà toute la cité éclate en cris d’enthousiasme. « Je n’avais pas encore assisté à de pareils transports, » écrit-elle en son journal. Et quelles salves d’applaudissemens, quand elle paraît à Westminster ! Quelle émotion dans toutes les âmes, quand la jeune reine de vingt ans prend la parole, et, d’une voix claire, avec la diction la plus nette, annonce sa résolution au pays : « Depuis vos dernières séances, j’ai déclaré mon intention de m’unir en mariage avec le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha. Je prie humblement la divine Providence de bénir cette union, de la rendre favorable aux intérêts de mon peuple ainsi qu’à mon bonheur domestique.