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chemin. Vous rencontrerez sans doute bien des difficultés dans les affaires qui rempliront votre vie ; quelque grandes qu’elles puissent être, reposez-vous en lui avec la plus entière confiance. Alors seulement vous comprendrez toute la valeur du trésor que vous possédez.

« Il a en outre toutes les qualités nécessaires à un bon époux. Votre vie ne peut manquer d’être heureuse.

« Quand l’agitation de ces premiers jours sera passée, quand tout sera rentré dans le repos et que mon père aura quitté l’Angleterre, je serai charmé d’être à distance le spectateur fidèle de votre nouvelle existence ; mais combien je sentirai alors tout ce que j’ai perdu ! Le temps, je l’espère, me viendra en aide. Maintenant je me sens bien seul.

« ERNEST. »


Tout cela, c’est la partie intime des augustes fiançailles ; il faut maintenant que l’affaire soit traitée officiellement, il faut que tout ce qui intéresse la raison d’état soit réglé par les représentans de la nation. Les jeunes princes de Saxe-Cobourg ont quitté Windsor le 14 novembre 1839 ; le prince Albert ne reviendra en Angleterre qu’après les délibérations du parlement. Dans cet intervalle, pendant qu’il retourne à Cobourg par Bruxelles, Bonn et Wiesbaden, où se trouve alors le roi des Belges, les hommes d’état anglais vont recevoir les communications de la reine. Le 20 novembre, la reine quitté Windsor avec sa mère, la duchesse de Kent, et vient s’établir pour quelques jours à Londres, à Buckingham-Palace. Le même jour, lord Melbourne lui soumet la déclaration destinée au conseil privé, et ce conseil est convoqué le 23 au palais de la reine.

Il est deux heures. Tous les membres du conseil privé sont à leur place, au nombre de quatre-vingt-trois, dans la grande salle du rez-de-chaussée. La reine entre et s’assied sur le trône. « La salle était pleine, écrit-elle dans son journal, et je savais à peine qui était là. Je vis lord Melbourne, qui me regardait avec des larmes dans les yeux ; mais il n’était pas placé près de moi. Alors je donnai lecture de ma brève déclaration. Bien que mes mains tremblassent, je ne commis aucune méprise. Je me sentis bien heureuse et bien reconnaissante quand j’eus terminé. À ce moment, lord Lansdowne se leva, et, au nom du conseil privé, demanda que cette communication très gracieuse et très bien venue pût être livrée à l’impression. Ensuite je quittai la salle. La cérémonie n’avait pas duré plus de deux ou trois minutes. » Si rapide qu’eût été la séance, la reine avait eu le temps d’éprouver les émotions les plus vives. Elle insiste sur ce point et raconte avec grâce comme elle se sentit soutenue par le souvenir du prince Albert. Elle portait constamment depuis ses fiançailles un bracelet auquel était fixé le portrait du prince :