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dans les universités allemandes ? ou bien encore à Bruxelles, sous les yeux du roi son oncle ? Stockmar discute ces différens projets, et sa discussion renferme sur plus d’un point des jugemens qui méritent d’être notés. Cobourg, évidemment, ce n’est pas le lieu le plus convenable. À supposer qu’on y trouvât des maîtres capables d’achever l’éducation du prince dans le sens indiqué plus haut, trouverait-on sur un théâtre aussi restreint des hommes ayant assez d’indépendance pour lui parler en toute franchise ? Voilà les anciennes petites cours allemandes caractérisées d’un seul trait, et c’est précisément cette absence de vie et de liberté morale, pour le dire en passant, qui a rendu possible l’écrasement de l’Allemagne par la Prusse. C’est donc en Prusse que le prince Albert pourra s’initier à l’étude des grandes affaires ? Ne concluez pas si vite ; Stockmar, qui en 1848 et plus tard sera un des partisans presque fanatiques de l’unité allemande par les Hohenzollern, se défie de la Prusse en 1836. Il a toute sorte d’objections contre le séjour du prince Albert à Berlin. D’abord ce n’est pas là que le prince se ferait des idées justes sur la présente situation de l’Europe. « La Prusse, — je n’abrège plus, je traduis littéralement, — la Prusse, placée au milieu des grandes puissances de l’Europe beaucoup plus par la faveur des circonstances que par sa force intérieure, ressemble trop encore dans sa politique à un parvenu toujours disposé à se surfaire ou à se déprécier lui-même, comme à surfaire ou à déprécier les autres. La position qu’elle a prise à l’égard de l’Allemagne n’est ni politique ni honorable. Tout cela ne forme pas une bonne école, et je tiens pour certain que le prince entendrait à Berlin toute espèce de théories sur la politique, excepté des théories vraies. En ce qui touche la société, le ton berlinois n’est pas à recommander non plus, pour un prince du moins, car il reste toujours maniéré. Ainsi les sujets qui pourraient y fournir des distractions au prince se bornent à deux : l’administration et le service militaire. Sur ces deux points sans doute, il aurait l’occasion d’apprendre bien des choses ; j’ajoute seulement que pour l’essentiel, il l’apprendrait tout aussi bien ailleurs. En outre, il y a dans Berlin un certain libertinage épidémique comme le catarrhe, et je crois volontiers qu’il n’y a pas d’endroit au monde où l’on ne puisse préserver un jeune homme de ce péril plus aisément qu’à Berlin. »

Nous n’avons pas besoin de commenter ces expressives paroles, il suffit de rappeler que c’est un Allemand qui parle.

Restaient encore Vienne, ou les villes d’université allemandes, ou la capitale de la Belgique. Vienne est jugée d’un mot par le sévère Stockmar : pour un prince allemand, dit-il, Vienne ne saurait être une école. Quant aux villes d’université, l’éducation qu’on y reçoit