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de ses désirs. Quand elle mourut le 16 novembre 1831, ce fut le dernier vœu qu’elle exprima en recommandant à Dieu l’avenir de tous les siens. Le père du prince Albert, à ce que nous apprennent les notes de Stockmar, n’était pas complètement de cet avis ; c’était à son fils aîné, le prince Ernest, que le duc régnant de Saxe-Cobourg-Gotha aurait voulu assurer ces hautes destinées. Quant au roi Léopold, ayant toujours partagé sur ce point le désir de sa mère, il eut à cœur de le réaliser. Au milieu de ses grandes préoccupations politiques, c’était là une affaire secrète qu’il ne perdait pas de vue un seul instant. Aussi lorsque son frère, le duc de Saxe-Cobourg-Gotha, accompagné de ses deux fils, vint lui rendre visite à Bruxelles au mois de mars 1836, on devine de quel œil à la fois sympathique et sévère il examina le jeune prince. On peut aussi se représenter sa joie. Le pronostic de la grand’mère ne s’était pas trompé. Ce que l’enfant promettait, le jeune homme le tenait déjà. Dans cet épanouissement de sa dix-septième année, on voyait en lui les qualités les plus rares, et il n’était pas d’espérances si hautes que ne justifiât son mérite.

C’est ce que le roi des Belges écrivait à Stockmar en ce printemps de l’année 1836 : « Il y a plusieurs années, disait-il, que j’ai conçu la plus haute idée de mon jeune neveu, le prince Albert ; si beau, si aimable, si richement doué ; me voici convaincu désormais qu’aucun prince n’est plus en mesure que lui de rendre ma nièce heureuse et de remplir dignement cette difficile place d’époux de la reine d’Angleterre. »

Stockmar, qui connaissait moins le jeune prince, ne se prononçait pas aussi vite. Par les services qu’il avait rendus au roi des Belges, par le dévoûment dont il avait donné tant de preuves, il s’était acquis le droit d’exprimer franchement sa pensée. Peut-être le roi Léopold, dans l’élan de sa tendresse, ne mesurait-il pas assez exactement les forces de ce neveu si cher ; peut-être aussi, par une modestie naturelle aux esprits supérieurs, ne se rendait-il pas un juste compte des difficultés d’un rôle où il avait obtenu lui-même, par anticipation il est vrai, un succès sans réserve. Le roi Léopold ne se rappelait que de beaux jours et de nobles émotions pendant les deux années qu’il avait passées à Claremont. Mari de la princesse Charlotte, associé à une future reine d’Angleterre, appliqué de toute son âme à consoler la douce victime d’une éducation funeste, à lui rendre les affections qui lui avaient manqué, à faire luire à ses yeux