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Serbes et Monténégrins ont-ils les avantages qu’ils s’attribuent régulièrement à l’aide du complaisant télégraphe ? Les Turcs sont-ils victorieux comme ils ne cessent de le dire dans leurs dépêches officielles ? Le fait est que ceux-là mêmes qui sont dans le pays semblent ignorer la vérité. Il y a seulement une circonstance à peu près saisissable et évidente. Si les Turcs ont fait jusqu’ici peu de progrès, ils ne reculent pas, et leurs forces paraissent grossir de plus en plus. Les Serbes, de leur côté, et c’est là ce qu’il y a de grave dans une guerre de nationalité et d’indépendance, les Serbes n’avancent pas. Ils n’ont pas seulement suspendu le mouvement offensif par lequel ils avaient inauguré la guerre, ils ont visiblement rétrogradé de toutes parts, ils sont réduits à une défensive pénible, et les inquiétudes qui règnent à Belgrade, les craintes d’une révolution qui menacerait le prince Milan, sont les symptômes d’une situation qui s’aggrave de jour en jour, qu’un coup d’éclat militaire pourrait seul relever.

Ces événemens qui suivent leur cours sanglant et obscur resteront-ils circonscrits en Orient, ou sont-ils destinés à n’être que le signal d’événemens bien plus graves encore, d’une lutte plus étendue et plus redoutable pour l’Europe ? Tout dépend sans doute de la vraie pensée des principales puissances, et jusqu’ici évidemment les plus grands cabinets, les plus intéressés aux affaires d’Orient, tout en acceptant la perspective d’une intervention diplomatique à un moment donné, semblent surtout avoir la préoccupation de limiter l’incendie, de maintenir la question dans les limites d’un arrangement possible et pratique. Le prince Gortchakof l’écrivait le mois dernier au comte Schouvalof dans une dépêche qui vient d’être publiée en Angleterre. « En ce moment, comme il y a huit mois, nous ne voyons pas de raison pour désirer une crise décisive en Orient, parce que les affaires ne sont pas suffisamment mûres pour une solution. » Lord Derby, dans un discours récemment adressé à une députation conduite par M. Bright, et dans sa correspondance qui vient d’être mise au jour, ne témoigne que des pensées de paix, et la vigoureuse attitude de l’Angleterre est certainement une des plus sérieuses garanties. La guerre, on ne la veut pas ; la paix peut être difficile, elle n’est point au-dessus de la volonté de puissances résolues à la maintenir.

C’est un jeu du hasard qui a fait coïncider dernièrement, à quelques jours d’intervalle, l’arrivée et la réception officielle de deux nouveaux ambassadeurs étrangers en France, M. le comte Félix de Wimpfen, représentant de l’empereur François-Joseph d’Autriche, et M. le général Cialdini, représentant du roi Victor-Emmanuel. Autrefois, pour le vieux prince de Metternich, l’Italie n’était qu’une « expression géographique, » elle n’existait pas pour la diplomatie, ou du moins elle s’appelait de toute sorte de noms, le Piémont, la Toscane, Modène, les Deux-Siciles ; maintenant elle porte son nom national d’Italie, elle a son ambassadeur à la