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et qui ne cherchera jamais d’injustes querelles à ses voisins, mais encore elle est plus intéressée qu’aucun autre peuple à la conservation de la paix générale, et aujourd’hui elle est assez forte pour contenir, pour réprimer les ambitions inquiètes et brouillonnes ; elle est en mesure de protéger contre leurs manœuvres et leurs convoitises la tranquillité de l’Europe. — Le jour est venu où l’Europe saura ce qu’elle doit penser de cette solennelle et rassurante promesse et le prix qu’elle y peut attacher. Elle ne donne point qu’il ne dépende des hommes qui dirigent à cette heure la politique allemande de donner aux difficultés pendantes, soumises, à leur arbitrage, une solution aussi satisfaisante que pacifique. Si l’empire germanique remplit heureusement la mission qu’il s’attribue, la reconnaissance que lui en auront les peuples sera pour lui le meilleur des titres, la plus précieuse des consécrations. Toutefois ils ne sont pas encore entièrement édifiés sur les intentions du grand arbitre de qui dépendent leurs prochaines destinées ; ils ne sont pas certains que cet arbitre tout-puissant ait fait tout ce qui était en son pouvoir pour prévenir des complications qui sont devenues menaçantes. N’a-t-on pas laissé comme à plaisir les difficultés s’aggraver, le mal s’étendre, les passions s’envenimer ? Était-il vraiment impossible d’étouffer l’incendie dès sa naissance ? Aujourd’hui la maison brûle, mais il ne s’agissait au début que d’un simple feu de cheminée ; pourquoi ne l’a-t-on pas éteint ? Ne l’a-t-on pas pu ou ne l’a-t-on pas voulu ?

Dans le commencement, le grand public, qui n’est pas initié aux secrets de la diplomatie, n’avait pas pris au sérieux l’insurrection de l’Herzégovine ; il ne s’était point avisé qu’elle pût avoir de funestes conséquences. Quand il a vu qu’elle durait, il a soupçonné qu’elle était encouragée, fomentée, entretenue du dehors, et rien ne prouve qu’il se soit trompé. La conduite des puissances qui ont interposé leur médiation entre le sultan et ses sujets chrétiens a été vraiment de nature à justifier les soupçons, à autoriser les mauvais propos. Elles ont donné à la Turquie de rudes et d’énergiques avertissemens, elles l’ont mise en demeure de satisfaire aux réclamations des insurgés, elles lui ont imposé un plan de réformes, que la Turquie s’est empressée d’accepter. Du même coup, on s’engageait à agir auprès des Herzégoviniens et des Bosniaques pour leur faire poser les armes, et comme l’insurrection tirait sa principale force de la connivence plus ou moins avouée des Serbes et des Monténégrins, on pouvait croire que la diplomatie tiendrait à Cettigne comme à Belgrade un langage ferme, décidé, qu’elle dirait au prince Milan et au prince Nikita : Nous voulons la paix, nous la voulons à tout prix, et nous ne vous permettrons pas de la troubler. Ainsi que l’écrivait récemment lord Derby, « avant toute discussion d’un plan quelconque fondé sur un armistice, il devait être clairement entendu que la Serbie et le Monténégro seraient avertis et, s’il était nécessaire, contraints de s’abstenir de fomenter l’insurrection. »