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que le Kulturkampf n’aboutisse au triomphe de l’incrédulité et du rationalisme, conservateurs-libres, disposés à s’accommoder aux temps, à compter avec les circonstances, à transiger avec les choses et avec les hommes, — il n’était pas aisé de trouver un bonnet assez large pour y loger toutes ces têtes. Il paraît cependant qu’on y a réussi. Après de longues et laborieuses négociations, on s’est fait des sacrifices mutuels, on s’ost accordé sur les termes d’un programme où les questions litigieuses sont réservées et qui, vaille que vaille, satisfait tout le monde.

M. de Bismarck a gouverné pendant ces dernières années avec le concours des nationaux-libéraux ; il a trouvé en eux des amis utiles, pleins de zèle, mais pas aussi désintéressés qu’il l’aurait voulu. Ils lui ont demandé plus d’une fois de les récompenser de leur complaisance, Ils l’ont importuné de leurs prétentions indiscrètes. M. de Bismarck a tout à la fois l’esprit très libre, très moderne et le tempérament césarien. Si certains conservateurs l’accusent d’être un révolutionnaire, les libéraux lui reprochent son césarisme, et ne se lassent pas de l’engager à instituer en Allemagne le véritable régime parlementaire. Il n’accédera jamais à leur désir ; il est disposé à admettre beaucoup de choses, il n’admettra jamais que son existence dépende d’une chambre et d’une aventure de scrutin. M. de Bismarck a vu sans déplaisir le parti conservateur ceindre ses reins pour le grand combat et se fortifier par la concorde ; le programme des nouveaux coalisés contient plus d’un article qui a dû lui sourire, et il ne peut vouloir du mal à des gens qui souhaitent que l’Allemagne et la Prusse soient gouvernées par un pouvoir autoritaire vigoureux. Cependant on a été étonné de la réserve un peu froide avec laquelle la Correspondance provinciale, parlant au nom du gouvernement, a accueilli les avances des conservateurs et discuté leur plan de campagne. Cette feuille officieuse et même officielle leur a signifié, en les louant de leurs bonnes intentions, que M. de Bismarck n’entendait se donner à aucun parti, que c’était aux partis qui recherchaient son amitié de se donner à lui sans conditions. Elle leur a dit à peu près : — Vous avez des principes qui s’accordent sur plus d’un point avec les nôtres. Les libéraux aussi ont quelquefois du bon ; ils seraient tout à fait nos hommes s’ils se décidaient à rompre sans retour avec nos ennemis les progressistes. Nous n’avons pas de préjugés, nous n’avons que des intérêts, et il nous importe peu qu’on soit libéral ou conservateur ; l’essentiel est qu’on entre dans nos vues, qu’on épouse nos idées et qu’on ne nous fasse jamais d’opposition. — A coup sûr, le gouvernement ne restera point neutre dans les prochaines élections ; mais il n’entend s’engager d’avance avec personne. Il scrutera les cœurs, il sondera les reins, pour découvrir ses vrais amis. Il se propose d’exercer entre les partis en présence un arbitrage souverain et intéressé ; son appui, sa faveur, son patronage, sont promis à celui qui lui demandera le moins et qui lui offrira le plus.