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étrangers à la science du droit, mais totalement illettrés. On régularisa cette institution en fixant le nombre des membres, en les soumettant comme les officiers ministériels français à la nomination du ministre, et en leur imposant des tarifs d’honoraires.

Après avoir réglé la procédure devant la mahakma, le décret de 1859 établit deux juridictions d’appel jugeant souverainement : le tribunal de première instance pour les actions personnelles et mobilières jusqu’à 1,500 francs de principal, et pour les actions immobilières jusqu’à 150 francs de revenu[1], la cour d’Alger pour tous les litiges portant sur des valeurs supérieures et pour les questions. d’état, et il adjoignit à ces juridictions des assesseurs musulmans avec voix consultative.

M. de Chasseloup-Laubat occupa tout aussi peu de temps que son devancier le ministère de l’Algérie, et il n’eut point de successeur. Une évolution nouvelle s’était opérée dans l’esprit du souverain, qui supprima ce ministère et rétablit le gouvernement général, confié aussitôt au maréchal Pélissier (novembre 1860). L’empereur était très tenace dans ses conceptions, qui avaient l’adhésion convaincue du ministre de la guerre, le maréchal Randon, esprit également systématique et obstiné. Ils s’accordaient pour retourner à la théorie, précédemment abandonnée à regret, du royaume arabe. L’on démontrerait facilement que le décret sur le cantonnement des indigènes, le sénatus-consulte du 22 avril 1863 sur la propriété arabe, celui de 1865 dans les dispositions relatives à la naturalisation des musulmans, n’avaient pas en réalité un autre objectif. Le décret encore en vigueur du 31 décembre 1866 portant réorganisation de la justice musulmane devait concourir au même résultat.

Ces dispositions n’étaient point un mystère pour les indigènes, qui en conçurent des prétentions démesurées et donnèrent pour mandat aux coreligionnaires notables admis à présenter leurs vœux devant une haute commission réunie à Alger en vue de préparer la législation nouvelle, de demander des tribunaux souverains exclusivement formés de membres musulmans, c’est-à-dire d’être replacés sous le régime de 1854. Les commissaires français, parmi lesquels figuraient les deux chefs du ressort, combattirent et firent échouer ces exorbitantes exigences. Il s’agissait cependant de trouver une combinaison qui se conciliât avec la volonté arrêtée du chef de l’état.

On imagina à cet effet de donner la voix délibérative aux assesseurs musulmans de la cour et des tribunaux, et d’instituer un conseil consultatif supérieur entièrement composé de membres

  1. Cette compétence a été fixée en 1866 a 2,000 francs dans le premier cas, à 200 francs dans le second.