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ans le nord de l’Afrique, ne changèrent rien à la législation locale. Lorsque ces contrées, après un autre siècle de retour sous la domination gréco-romaine, tombèrent aux mains des Arabes, ceux-ci se substituèrent de même simplement au pouvoir politique et admistratif des empereurs de Constantinople. Leurs tribus ne possédaient point un corps de lois civiles écrites ; grâce à cette circonstance, les indigènes conservèrent celles qui les régissaient depuis huit siècles, et elles finirent, comme en Gaule et en Italie, par passer dans le droit du vainqueur. En s’y incorporant, elles perdirent le nom de Rome et la dignité législative. Elles ne pouvaient qu’à ce prix triompher du fanatisme destructeur des musulmans. Ce n’était pas de conquérans poussés par l’ardeur du prosélytisme religieux plutôt que par le besoin d’agrandissemens territoriaux qu’il fallait attendre le respect de la législation des vaincus. Aussi le règne légal du droit romain dut-il prendre fin en Afrique avec l’empire lui-même, et, comme il n’y avait rien à mettre à la place, la tradition en survécut dans la race conquise ; tout le monde s’y rangea ensuite par une nécessité dont il est facile de se rendre compte. Les Arabes venant de contrées où florissait la vie pastorale dans des pays de culture durent naturellement se soumettre aux conditions économiques de leur nouvelle résidence. Les coutumes locales devinrent en conséquence le fond du droit musulman. Ce droit se forma de ces dispositions de source romaine, d’usages importés d’Orient, de maximes koraniques et de règles de statut féodal, qui y furent introduites à la suite de la concession en fief du nord de l’Afrique aux Aghlabites par Haroun-al-Raschild, le fondateur de la féodalité arabe en Algérie, où ce régime subsiste encore partiellement dans les tribus. La conception sémitique de la loi comme expression de la volonté divine révélée par une manifestation théophanique (directe comme au Sinaï ou médiate par l’intermédiaire de l’ange Gabriel) imprima au droit musulman un caractère religieux, — d’où l’erreur vulgaire qui fait découler la loi civile du Koran, tandis qu’en réalité le livre sacré de l’islamisme contient seulement un petit nombre de règles relatives au droit civil, et que l’on ne peut même appliquer sans le secours de l’interprétation[1]. Cette distinction si importante n’a pas échappé aux jurisconsultes musulmans, et Mouradja d’Ohsson, dans son Tableau de l’empire ottoman, constate que les écoles turques de son temps enseignaient une quadruple division, savoir : 1° le Koran, code religieux, ensemble des lois divines ; 2° les Hadiss ou Sunneth, lois prophétiques, paroles, conseils, prescriptions orales de Mahomet transmises par la tradition ; 3° l’Idjma-y-unmeth, recueil des lois apostoliques,

  1. Sautayra et Clierbonneau, Droit musulman, préface.