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système ; elles ont donc subi les fluctuations de la politique algérienne, qui alternativement inclinait vers les théories inverses de l’assimilation et du parallélisme.

Dans cette société, la loi civile se présente enveloppée de formules qui semblent lui attribuer une institution divine et la ramener à un statut religieux. C’est ce qui a fait croire aux uns que le droit musulman tenait tout entier dans le Koran, et nier par d’autres l’existence même de ce droit si compliqué pourtant que, selon l’un des plus célèbres docteurs de l’islam, Ibn-Khaldoun, la vie d’un bomme suffirait à peine pour épuiser l’enseignement d’une seule école. Un autre commentateur plus ancien, Hanbal, qui fonda au IXe siècle une secte fameuse, a dit : « La carrière de l’idjtihad (interprétation) sera ouverte aussi longtemps que durera l’islamisme, » Mais ces divergences si multipliées ne portent en somme que sur des points secondaires, et témoignent plutôt de l’esprit ingénieux, et subtil des glossateurs qu’elles n’atteignent les principes fondamentaux de la législation musulmane. Celle-ci offre un ensemble de dispositions savantes, coordonnées, logiques, constituant une vaste doctrine. Elle ne repose malheureusement que sur des traditions sans date précise pour la plupart, et ne revêt aucune des formes législatives auxquelles nous sommes accoutumés : code, édit, décret, etc. On n’en tire même pas aisément les règles des livres qui les contiennent. C’est ainsi que le classique Précis de juris, prudence de Sidi Khélil, suivi en Algérie et dans tous les pays attachés au rite malékite, offre la plus grande incohérence de rédaction par le défaut absolu de méthode, des répétitions fastidieuses, et un indigeste mélange des maximes de la morale et des principes du droit.

La loi civile musulmane a été accommodée au Koran, mais elle n’en dérive pas directement, et l’étude attentive des textes démontre au contraire qu’il faut en chercher les origines non en Orient, mais en Occident, — à Rome, non à la Mecque. L’on sait comment le droit romain avait pris possession du littoral méditerranéen. Dans les pays où les invasions barbares n’imposèrent point leurs lois par la force, non-seulement ce droit se maintint chez les populations subjuguées, mais comme il était celui de la majorité des habitans et des sociétés avec lesquelles ils avaient le plus de relations, les vainqueurs l’adoptèrent à la longue. C’est ce qui arriva pour l’Italie et la Gaule. Il périt au contraire en Espagne sous les proscriptions dont le poursuivirent les rois wisigoths, qui ne permettaient pas d’en citer les textes en justice, comme nous le voyons dans la loi de ce peuple[1]. Les Vandales, qui occupèrent plus de cent

  1. Citée par Montesquieu, Esprit des Lois, liv, XXVIII, chap. VII.