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III

Ces terres dont le rachat lui est imposé, le moujik n’était pas d’ordinaire en état de les payer comptant. Il ne pouvait s’acquitter qu’à long terme, par annuités. De là l’obligation d’échelonner l’opération du rachat, et par suite l’émancipation même, sur une longue série d’années. Tant qu’il n’a pas entrepris le rachat de sa terre, le paysan doit à son maître la corvée ou l’obrok comme au temps du servage. La différence est que ces redevances en travail ou en argent sont librement débattues, ou légalement fixées par les règlemens locaux, et qu’elles prennent fin avec le rachat de la terre. Les paysans soumis à ce régime transitoire sont encore aujourd’hui nombreux ; d’après le Messager officiel, au 1er janvier 1876 on en comptait plus de 2 millions (2,118,000) dans les 37 gouvernemens de l’intérieur. La loi les appelle paysans temporairement obligés. Ils demeurent dans cette situation provisoire tant qu’ils ne sont pas entièrement libérés vis-à-vis de leur ancien maître. Or d’après la loi tous les propriétaires et serfs de Russie ont dû, dans les deux années, qui ont suivi l’acte d’émancipation, dresser entre eux une charte réglementaire ou convention de rachat indiquant à quelles conditions ils entendaient régler leur situation réciproque. Une classe particulière de magistrats appelés arbitres de paix, qui a été tout récemment supprimée, avait été créée pour juger les différends qui pouvaient surgir entre les deux parties intéressées.

Abandonnée aux seules forces des paysans, une telle méthode de rachat eût présenté bien des difficultés, bien des embarras pour le maître comme pour l’ancien serf. Aussi le gouvernement leur a-t-il offert son concours financier. L’état fait aux anciens serfs qui le demandent l’avance des sommes exigées par le rachat, ou plus exactement l’avance de la plus grande partie de ces sommes, car une partie est toujours laissée à la charge des paysans, qui doivent à ce sujet traiter de gré à gré avec leur seigneur. Ce système a pour le propriétaire l’immense avantage de transformer la créance privée. du paysan en créance publique sur l’état, l’avantage de convertir la redevance annuelle de l’affranchi en une sorte d’impôt temporaire dont le gouvernement assure la rentrée. L’état se fait ainsi l’intermédiaire et comme le banquier des deux parties intéressées. Les avances faites par, le gouvernement aux paysans lui doivent être remboursées en quarante-neuf annuités à raison de 6 pour 100, intérêt et amortissement compris. Les anticipations sont naturellement autorisées, mais naturellement aussi elles sont rares. C’est ainsi en quarante-neuf années, autrement dit en un demi-siècle, qu’avec l’aide du gouvernement le paysan pourra être