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II

Le poète Wordsworth dit en parlant de la révolution française, dont il avait vu de près les débuts : « Vivre dans cette aurore, c’était une bénédiction ; mais être jeune, c’était le ciel même. » On pourrait appliquer ce mot à l’époque où Macaulay s’engagea dans la carrière publique, avec d’autant plus de justesse que ceux qui étaient jeunes dans le parlement de 1830 avaient quelque raison d’espérer qu’ils vivraient assez pour voir au moins le milieu du jour et l’accomplissement des réformes souhaitées. Que pouvait-on désirer de plus, lorsqu’on se sentait de l’ardeur et du talent, que de prendre part aux grands débats où la destinée politique de l’Angleterre allait se décider, aux luttes oratoires à l’issue desquelles était attaché le sort d’un ministère odieux et l’avenir du système représentatif ? Il fut donné à l’homme heureux dont M. Trevelyan nous a raconté l’histoire, de briller au premier rang dans ces batailles parlementaires et de graver son nom parmi ceux des vainqueurs dans le souvenir reconnaissant de la postérité. Le fameux bill de réforme fut porté à la chambre des communes par John Russell, le 1er mars 1831, et le jour suivant Macaulay prononça le premier de ses grands discours. L’enthousiasme fut immense, et l’agitation de l’assemblée extrême. Depuis les jours de Fox, de Burke et de Canning, on n’avait, disait-on, rien entendu d’aussi beau, et jamais orateur ne s’était adressé plus directement aux sympathies du pays. Et de fait, tandis qu’il ne reste rien de toutes les harangues prononcées à propos de ce bill, celles de Macaulay gardent une place dans la littérature ; on peut les lire encore. Il n’est douteux pour personne que, si les choses eussent suivi leur cours ordinaire, le populaire orateur ne fût un jour devenu premier ministre ; d’autres l’ont été qui mirent bien plus de temps à se faire une réputation parlementaire moins éclatante. Si Macaulay n’atteignit jamais ce but naturel de toutes les ambitions politiques, la raison en est pour lui fort honorable : il n’était pas ambitieux. Il aimait la gloire, mais le pouvoir lui était assez indifférent. Toutes les fois qu’il le put, au rebours des gens qui donnent aux lettres les restes d’un talent dont la politique ne veut plus, à la politique il préféra la littérature, qui fut la grande affaire de sa vie. C’est là le trait distinctif et l’originalité de sa carrière.

Au reste, au moment même où ses succès oratoires semblaient lui promettre un bel avenir, les nécessités du présent venaient lui rappeler que pour parvenir aux honneurs il fallait être riche ou tout au moins indépendant, et qu’avant de songer à suivre ses goûts particuliers, il fallait assurer le bien-être de sa famille. Un des premiers