y a cependant toute une classe de serfs qui fait exception, une classe émancipée sans terre, et par suite sans rachat ; ce sont les serfs domestiques, les gens de la cour (dvorovyè lioudi), c’est-à-dire les serfs employés à la ville ou à la campagne au service intérieur du maître. Pour ne point leur allouer de terre et d’isba, il y avait une bonne raison, c’est qu’ils n’en avaient point au temps du servage, que d’ordinaire ils n’avaient ni maison dans le village, ni part aux terres laissées en jouissance aux autres serfs, que le plus souvent même ils avaient entièrement abandonné la vie agricole. Les dvorovyè ont donc reçu purement et simplement la liberté personnelle. Pour eux, l’émancipation a été presque immédiate ; après avoir prolongé de deux années leur service gratuit, ils ont pu quitter leurs maîtres, ou se changer en domestiques salariés. Ces dvorovyè qui sont venus grossir la population prolétaire des villes, sont peut-être de tous les serfs ceux qui ont eu le moins à se louer de l’émancipation. C’est parmi eux, parmi les vieillards surtout, que se sont rencontrés les hommes les moins empressés à user de la liberté. On comptait au moment de l’émancipation environ 1 million et demi de ces gens de service. La domesticité si aisément recrutée par le servage en était démesurément et inutilement grossie. Comme dans tous les pays à esclaves, les demeures des riches propriétaires étaient encombrées de serviteurs des deux sexes, peu actifs, peu adroits, cuisiniers, valets de chambre, cochers, palefreniers, servantes, ouvrières de toute sorte. Cette population, à demi civilisée et à demi corrompue par le séjour des villes et l’approche du maître, formait souvent la portion la moins saine et la moins recommandable des serfs. Cette facilité d’avoir à son service des tribus d’hommes et de femmes, et le gaspillage de travail humain qui en était la suite, étaient pour les hautes classes une des grandes commodités matérielles et un des grands inconvéniens moraux du servage. Par ce côté, la vie russe se rapprochait plus de la vie du planteur des colonies que de la vie européenne, et le pomêchtchik puisait dans le servage les habitudes d’indolence que partout donne au maître l’esclavage.
Le double principe de l’allocation territoriale et du rachat une fois posé, il y avait deux points difficiles à fixer. Quelle serait la quantité de terre concédée au paysan ? Quel serait pour lui le mode de rachat ? Dans un pays aussi vaste, il était impossible de déterminer un même chiffre, une même quantité de terre pour tous les serfs émancipés. Le gouvernement a suivi une règle générale : il a voulu autant que possible que le lot concédé au paysan pût subvenir à la nourriture et à l’entretien d’une famille. Cette règle admise, il a fallu l’adapter à toutes les différences du sol, à toutes les diversités du climat, à toutes les inégalités de la