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de l’élégie fameuse, combien un cimetière de village peut renfermer de Miltons « muets et sans gloire » ou de Cromwells a purs du sang de leur pays. » Si Macaulay, en suivant les juges aux assises de Leeds, avait rencontré beaucoup de plaideurs disposés à se servir de sa parole, il est probable que l’Angleterre, sans y gagner un grand légiste, y aurait perdu un admirable historien. Le bonheur voulut que pour toute affaire il ne trouvât jamais qu’à poursuivre un jeune maraudeur qui avait volé des poules, et que la Revue d’Edimbourg eût besoin de nouveaux écrivains. Jeffrey, qui dirigeait alors ce recueil fameux, croyait y discerner des symptômes de déclin. « Ne pourriez-vous pas, écrivait-il en 1825 à l’un de ses amis de Londres, mettre la main sur quelque jeune homme de talent qui consentirait à écrire pour nous ? Les anciens collaborateurs se font vieux, deviennent trop obtus ou sont trop occupés, et ici les jeunes gens sont tories pour la plupart. » On fit à Macaulay des propositions qu’il accepta. Il n’était encore connu, comme écrivain, que d’un petit nombre de personnes qui avaient distingué dans le Knight’s Magazine des essais et des fragmens littéraires dont le style était remarquable. L’Essai sur Milton, qui parut en 1825 dans la revue écossaise, annonçait un talent vigoureux, et l’heureux auteur, comme jadis Byron, un beau matin se réveilla célèbre. Est-ce l’effet de l’illusion que produit la distance, ou bien sont-ce les occasions d’enthousiasme qui font défaut ? mais il semble que le public soit devenu moins inflammable. Combien compte-t-on aujourd’hui d’écrivains qu’un seul article de revue ait mis en lumière au premier plan, et de renommées durables établies en un jour ? Ce n’est pas d’ailleurs que les pages de cet essai ne méritassent l’accueil qu’on leur faisait. Macaulay devait rapidement arriver à plus de perfection et mieux distribuer les richesses que sa merveilleuse mémoire fournissait sans cesse à son imagination ; mais les juvéniles beautés de son début ne pâlissent point sous l’éclat de celles qui suivirent. Il y avait là un rajeunissement de la critique littéraire, une manière heureuse d’agrandir le sujet, de l’éclairer par des rapprochemens ingénieux, de l’animer en le développant sous une forme toujours spirituelle et parfois quelque peu cavalière. Sous chacune de ces périodes si claires et si bien rhythmées, on sentait percer l’amour de la haute littérature, peut-être même y pouvait-on distinguer le goût de la rhétorique, non d’une rhétorique banale toute composée de formules, et dont Macaulay détesta toujours les exercices, mais de celle que l’on rencontre chez les maîtres les plus grands. Et ce défaut même, si c’en est un, ajoutait une séduction à l’ouvrage, où l’on voyait bien que l’art n’avait pas su rester étranger. Les gens du goût le plus difficile et le plus éprouvé furent tout d’abord conquis. « Plus j’y pense,