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devait certainement de nouvelles opinions en matière politique. En effet, le torysme, assez léger d’ailleurs, qu’il tenait de son père s’effaça bientôt au contact d’Austin, et le conservateur ne fut jamais si près de devenir un radical, au grand effroi de sa famille. Au reste, même avant sa conversion, il avait eu l’occasion de voir et même d’éprouver qu’à l’éducation politique du peuple anglais il manquait encore quelque chose. Une élection venait de se faire à Cambridge, et les citoyens exprimaient leurs sentimens de la seule façon qui leur fût permise avant la réforme parlementaire. Macaulay, qu’un pareil spectacle ne laissait jamais froid, entraîne un de ses camarades sur le lieu de l’action, et dans la bagarre reçoit un chat mort en plein visage. L’auteur du coup, voyant qu’il s’était trompé d’adresse, s’avance vers le jeune homme et s’excuse poliment, ajoutant que ce n’était pas lui, mais M. Adeane, l’un des candidats, qu’il avait voulu viser. — J’aurais mieux aimé, répondit avec calme Macaulay, que vous m’eussiez visé et que vous eussiez touché M. Adeane. — L’expérience était malheureuse, mais la repartie indiquait un sang-froid digne un jour d’affronter les hustings.

Avant de quitter Cambridge, Macaulay voulut montrer à son père que l’on peut être tout ensemble libéral et bon humaniste. Il remporta deux fois le prix de poésie anglaise avec des pièces de vers qui renfermaient des beautés sérieuses, mais qu’on n’a pas imprimées par égard pour le jugement que l’auteur portait lui-même sur ces sortes de compositions. Il prétendait qu’en fait de poèmes académiques, les plus courts étaient les meilleurs. Une distinction plus enviable et dont il fit grand état, fut celle qu’il obtint en 1824 à la suite d’un concours. Posséder un revenu de collège (fellowship) à Cambridge, se trouver parmi les soixante maîtres d’un antique et splendide établissement, avoir droit tous les matins à un déjeuner et tous les soirs à un bon dîner, sans compter une assez jolie somme au bout du trimestre, c’étaient là des privilèges auxquels il était d’autant plus sensible qu’il ne les devait qu’à son talent personnel. Il y gagnait une indépendance qui lui fut très utile pendant plusieurs années, et qui lui permit de regarder d’un œil assez indifférent les épines de la jurisprudence et les déboires de la profession d’avocat sans causes. Les lois n’avaient pas beaucoup plus d’attrait pour lui que l’algèbre, et lorsque, au sortir de Cambridge, il fréquenta le barreau, ce fut surtout pour obéir aux vœux de son père. Sa vocation l’entraînait d’un autre côté, et il le savait bien.

Dans une carrière heureuse et grande, il y a souvent un tournant difficile à franchir avant de voir le vrai chemin se dégager et l’horizon apparaître. L’avenir d’un homme dépend parfois d’une si petite impulsion que l’on en vient à se demander, avec l’auteur