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le niveau moral de l’administration native par le moyen qui avait réussi à lord Dalhousie vis-à-vis de l’administration européenne.

Cette nouvelle expérience a déjà été couronnée de succès. Depuis qu’on travaille à placer les traitemens des indigènes en harmonie avec l’importance de leurs fonctions et surtout depuis qu’on leur a laissé entrevoir la faculté de gravir les échelons supérieurs de la hiérarchie, la plupart des administrateurs anglais se plaisent à reconnaître que le sentiment de l’intégrité commence à se développer parmi leurs auxiliaires natifs. Le gouverneur du Bengale, sir Richard Temple, déclare notamment dans son dernier rapport qu’à ces améliorations a déjà répondu « une élévation parallèle dans les rangs supérieurs de l’administration indigène. » Les emplois inférieurs laissent davantage à désirer. Le même rapport enregistre sans protestation ce grief populaire « qu’un arrêt juste et bon reste souvent sans effet, que la partie la plus difficile d’un procès, c’est d’obtenir l’exécution des jugemens, et que la corruption, bannie des tribunaux, s’est réfugiée parmi les agens chargés d’exécuter leurs arrêts. » C’est surtout la police indigène qui perpétue les abus de l’ancien régime : vénalité, exactions, vengeances personnelles, fabrication de faux témoins, emploi de la torture pour arracher des aveux. Quand je traversai cet hiver le Bengale du nord, on parlait d’un malheureux mail-driver (conducteur de postes) mort par suite des tortures que la police lui avait infligées pour obtenir l’aveu de sa complicité dans le pillage de sa malle-poste : quelques semaines après, son innocence éclatait par l’arrestation des vrais coupables. Inutile d’ajouter que de pareilles abominations sont réprimées par le gouvernement avec une sévérité exemplaire ; mais elles sont fort difficiles à constater.

Quoi qu’il en soit, on doit reconnaître qu’il grandit dans les rangs supérieurs de l’administration indigène une classe d’hommes offrant toutes les garanties morales exclusivement attribuées jusqu’ici aux fonctionnaires sortis de la métropole, et dès lors on ne voit plus en vertu de quelles bonnes raisons l’Angleterre pourrait lui refuser l’accès des emplois supérieurs compris dans le covenanted service. Aussi les indigènes, faisant valoir l’inégalité des conditions où les place la nécessité de se rendre en Angleterre pour y disputer à la jeunesse britannique les lauriers d’un concours conduit dans un esprit spécialement anglais, ne cessent-ils de réclamer la faculté de passer dans l’Inde même leurs examens d’admission. Plutôt que d’entrer dans cette voie, le gouvernement suprême a préféré publier, il y a quelques mois, une résolution portant qu’on pourrait désormais admettre sans examens aux emplois de covenanted service les natifs « d’un mérite éprouvé. » La presse indigène a fait bon marché de cette concession, que même ses organes les plus modérés, tels que