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disséminées sur le sol de l’Hindoustan, élargissait singulièrement les idées religieuses des administrateurs anglais ; leur esprit semble s’y livrer à un travail de comparaison ou plutôt de transfusion qui, sans les jeter forcément dans le scepticisme, les convertit insensiblement à un éclectisme philosophique en harmonie parfaite avec les vues traditionnelles de la politique anglo-indienne[1].


II

Si le gouvernement anglais accorde ainsi sa protection aux vieilles croyances de l’Inde, ce n’est point, on le conçoit aisément, qu’il leur porte une affection bien vive ; mais il a compris que le meilleur moyen d’en débarrasser le pays, c’est de répandre à flots la lumière de l’instruction, car si, comme on l’a dit, le sang des martyrs est souvent la semence des religions, la parole de l’instituteur sera toujours le meilleur dissolvant des superstitions et des préjugés. La Compagnie des Indes resta longtemps indifférente aux progrès de l’instruction sur son territoire, soit qu’elle craignît d’émanciper trop tôt ses nombreux sujets, soit qu’elle n’y vît aucun profit immédiat pour ses actionnaires. D’ailleurs son système politique, qui consistait à perpétuer simplement, sous un autre titre, les traditions de l’empire mogol, ne se prêtait guère à l’introduction des idées et des méthodes européennes. En 1823, elle ne subventionnait encore que deux établissemens d’instruction : le collège sanscrit de Bénarès et le collège mahométan de Calcutta. Il fallut l’intervention du parlement pour la décider à instituer une commission de l’instruction publique avec un budget de quelques mille livres sterling. L’enseignement ainsi organisé conservait pour base le sanscrit, l’arabe et le persan, c’est-à-dire une langue morte, une langue étrangère et une langue purement officielle : ce fut seulement en 1835 que, sans renoncer à l’enseignement spécial de ces langues purement littéraires, on leur substitua, comme véhicule de l’instruction, l’anglais dans les établissemens du degré supérieur et les dialectes locaux (vernacular) dans les autres ; mais il fallait attendre le dernier renouvellement de la charte en 1853 pour obtenir, sous l’administration réformatrice de lord Dalhousie, une organisation complète et rationnelle de l’instruction publique à tous les

  1. Un phénomène assez curieux, ce sont les succès que les doctrines du Koran obtiennent dans la population européenne de l’Inde. Parmi les conversions à l’islamisme qui ont fait du bruit dans ces derniers mois, on peut mentionner notamment un capitaine de l’armée anglaise et un membre du covenanted service ; mais le cas le plus curieux, c’est certainement la volte-face de ce missionnaire américain cité par l’Indian Mail du 24 mai 1875. Ayant débarqué en Orient pour convertir les musulmans, il fut lui-même converti à l’islamisme, et prêche aujourd’hui sa nouvelle religion à ses compatriotes.