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d’eux-mêmes, fournissant au petit garçon un vocabulaire étendu dont il employait les termes au hasard, ce qui produisait souvent des effets assez imprévus. Hannah More aimait à raconter que, rendant visite à Mme Macaulay, elle fut reçue par le jeune enfant (il avait quatre ans alors), qui lui dit que ses parens étaient sortis, mais que, si elle voulait se donner la peine d’entrer, il irait lui chercher un verre de vieille eau-de-vie. Cette proposition, d’autant plus déplacée qu’elle s’adressait à une bonne dame qui n’avait jamais, en fait de liqueurs fortes, goûté que du cassis, était simplement un souvenir de Robinson Crusoé. Les métaphores dont Macaulay devait plus tard faire un si savant usage lui venaient déjà naturellement. Un jour que sa mère cherchait à lui faire comprendre la nécessité d’aller à l’école, comme les autres enfans, pour y étudier loin des tentations du garde-manger : « Oui, maman, répondit-il, le zèle sera mon pain, et l’attention mon beurre. » Il ne faudrait pas conclure néanmoins, comme on pourrait le faire d’après ce langage, que le fils de Zacharie Macaulay fût un de ces insupportables petits personnages que des parens malavisés proposent à l’admiration de leurs amis. Il était au contraire aussi simple, aussi gai qu’on doit l’être à son âge. Chez lui, tout était sincère, et si par l’extraordinaire maturité de l’intelligence il pouvait rappeler Chatterton ou Keats, il n’avait heureusement ni la vanité de l’un ni la maladive imagination de l’autre. A huit ans, il se mit en tête d’écrire un abrégé de l’histoire universelle. Les jugemens, on le devine, étaient sommaires et les renseignemens de seconde main ; mais c’était quelque chose que d’apprécier plus ou moins heureusement tous les rois et tous les héros de l’histoire depuis le pharaon « qui n’avait pas connu Joseph » jusqu’à Olivier Cromwell, « qui fut un méchant homme. » Afin de se délasser, l’historien en veste ronde entreprenait en même temps un poème épique dans la manière de Virgile, Olaus le Grand, et composait des cantiques dont on a pu dire qu’ils étaient étonnans pour un bébé. De ce train-là, le petit garçon eut bien vite épuisé l’enseignement que lui pouvait offrir l’école paroissiale qu’il fréquentait. Son père, qui, tout en restant au service de la colonie de Sierra-Leone, avait fondé une maison de commerce avec son neveu, résolut de le confier aux soins d’un pasteur de village, dans le voisinage de Cambridge. Ce fut là, au milieu d’une douzaine de condisciples, que Macaulay fit son apprentissage de la vie en commun, non sans répugnance, car jusqu’au bout il eut l’amour de la famille et l’horreur du collège. Il n’y perdit pas son temps et continua d’y meubler cette mémoire sans pareille dont on a rapporté des traits qui sembleraient voisins de la fable, s’ils n’étaient bien attestés. Il est des gens que leur mémoire