Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/597

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la distinction de la rente et de l’impôt, toutes ces théories, qui expriment parfaitement les rapports économiques de notre état social, perdent leur caractère normal, transportées dans un pays où la propriété collective s’est maintenue jusqu’à nos jours, et où le souverain, censé le nu-propriétaire du sol, perçoit indistinctement l’impôt avec la rente. A plus forte raison, quand il s’agit de gouvernement, convient-il de rechercher les conditions du milieu où il s’exerce, pour juger la valeur des idées qui en ont inspiré l’organisation.

Les Anglais trouvèrent dans l’Inde deux catégories de populations : les unes de race inférieure, qui semblent peu capables d’atteindre à l’intelligence et la pratique de notre civilisation, les autres d’une origine fort rapprochée de la nôtre, mais qui ont concentré sur les questions religieuses toute leur activité intellectuelle et morale. Chez les mahométans aussi bien que chez les Hindous, c’est la religion qui modèle et dirige toute la vie sociale, préside aux moindres actes de l’existence, façonne le droit civil et criminel, détermine les occupations comme les relations privées, enfin règle jusqu’au régime alimentaire, au choix des vêtemens et aux soins de l’hygiène. Or des deux grandes religions qui se partagent la domination spirituelle de l’Inde, l’une part d’un principe fataliste qui dans tout l’Orient est devenu la pierre angulaire du despotisme, l’autre est la déification même de la force sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations, indépendamment de toute légitimité comme de toute moralité. De là ce mélange d’anarchie et d’oppression qui caractérise l’histoire intérieure de l’Inde, et qui atteignait son apogée vers l’époque où les Anglais arrachèrent aux Mahrattes et aux Pindaris la succession de l’empire mogol. On conçoit qu’un pareil régime, prolongé durant une longue suite de siècles, ait profondément inoculé au caractère hindou les vices qui sont les fruits naturels de la tyrannie : l’astuce, la servilité, la corruption et l’abus de l’autorité.

Quiconque a voyagé dans l’Inde connaît la difficulté d’arracher aux indigènes un renseignement exact, fût-ce dans l’affaire la plus insignifiante, tant ils s’ingénient à répondre exclusivement ce qu’ils supposent le plus agréable à leur interlocuteur. La même préoccupation leur impose le mensonge comme un devoir de politesse lorsqu’ils se trouvent en dissentiment d’opinion avec leur égal ou leur supérieur. A plus forte raison, dans leurs rapports avec l’état, ne peut-on compter sur leur sincérité dès que leur intérêt est en jeu. Il est de notoriété publique qu’il y a peu d’années on pouvait, pour quelques centimes, se procurer un faux témoin dans des procès de vie ou de mort, et même aujourd’hui les rapports officiels dénoncent encore le faux témoignage comme la principale plaie de