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disait, il n’y a pas longtemps, un haut fonctionnaire du pays, et ce mot donne la clé de bien des événemens contemporains qui à première vue semblent avoir fort peu de rapports avec les rives du Gange. Mais ces avantages matériels et moraux ne sont qu’une conséquence indirecte du régime établi par le vainqueur. On ne se rend pas suffisamment compte, sur le continent, de ce double fait que le budget de l’Inde est complètement séparé du budget britannique, et que depuis 1839 l’Angleterre n’exerce plus aucun monopole commercial dans ses possessions de l’Hindoustan. Si à ces faits l’on ajoute que la colonisation européenne est complètement nulle au sud de l’Himalaya, et d’autre part que, depuis l’Indian civil service act de 1861, les indigènes sont légalement éligibles à tous les emplois civils, pourvu qu’ils aient les garanties requises de moralité et de capacité, il faudra bien croire à la sincérité de l’Angleterre quand elle affirme son intention de gouverner l’Inde pour l’Inde. Il nous reste à chercher comment elle s’y est prise et dans quelles limites elle y a réussi.


I

Rappelons tout d’abord qu’il est impossible de juger à la mesure de nos propres gouvernements l’organisation administrative d’un pays tel que l’Inde. L’économie politique enseigne chez nous que le seul but de l’état est de garantir la paix des citoyens et la sécurité des transactions ; tout au plus accorde-t-elle au gouvernement, dans certains objets de première nécessité, le droit d’encourager par son intervention l’initiative timide des particuliers. Mais l’Inde est une terre d’épreuves pour l’économie politique, ou plutôt pour ce groupe orthodoxe dont l’an dernier M. Emile de Laveleye critiquait, ici même, les généralisations trop absolues. L’école de Manchester a démontré par exemple que les prix des choses sont nécessairement réglés par la loi de l’offre et de la demande. Or, dans les transactions de l’Inde, c’est le plus souvent la coutume et non la concurrence qui détermine les conditions du marché. La même école a proclamé partout la liberté des contrats, et par suite de l’usure, et voici que ce régime est en train de consommer partout, non-seulement la ruine, mais même la spoliation et l’asservissement de la classe agricole ; le gouverneur de Bombay notamment déclare, dans le dernier rapport sur l’état de sa présidence, que « la question se pose de plus en plus sérieusement, si nos principes sur le recouvrement-des prêts peuvent s’adapter aux transactions de l’Inde, et si des pénalités contre l’usure n’y seraient pas aussi légitimes que. l’inexorable sévérité des lois à l’égard de l’emprunteur. » L’organisation individuelle de la propriété, la mobilité des valeurs foncières,