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traversant les Alpes, je descendis dans la haute Italie ; par le Piémont, je pénétrai en France. Quand j’eus parcouru dans tous les sens ce royaume, je voulus voir l’Espagne : je ne m’arrêtai pas à l’Espagne ; je poussai jusqu’au Portugal. Les mers du Levant me devinrent familières ; j’en connus les principales îles, Rhodes, Malte, la Sicile, Chypre, Candie, sans parler des Cyclades. La Morée, l’Achaïe, les lieux où fut Corinthe m’ont retenu longtemps. J’ai voyagé en Turquie, en Syrie et dans diverses parties de l’Asie-Mineure. J’avais franchi les Alpes ; je franchis également les montagnes du Liban, et j’arrivai ainsi dans la riche vallée de Damas. Non content d’avoir exploré la province de Samarie, la Galilée, la Palestine et toute la Terre-Sainte, je suis allé m’agenouiller à Jérusalem. En quittant la Terre, Sainte j’ai côtoyé l’Afrique ; j’ai pris terre à Tripoli et à Tunis, j’ai fait escale à Colo et à Bône, j’ai débarqué sur les quais d’Alger. » De toutes ces pérégrinations, Jenkinson rapportait la conviction intime que le moment n’était pas encore venu de disputer à Venise la seule voie commerciale que conservât à la reine de l’Adriatique l’amitié du Grand-Turc. Les Vénitiens continueraient donc de transporter sur les côtes de Syrie les draps fabriqués par les habitais de la Grande-Bretagne ; ils rapporteraient en échange les épices de l’Inde et les soies grèges de la Perse. Ce n’étaient pas les états du sultan de Constantinople, c’étaient ceux du tsar qu’il fallait se mettre en mesure de traverser, si l’on voulait arriver, par l’intérieur des terres, au Cathay ou aux bords du golfe Persique.

Pas plus que Chanceler et Stephen Burrough, Jenkinson ne paraît avoir songé à travailler pour la gloire ; il se préoccupe avant tout de frayer de nouveaux chemins aux étoffes de la Grande-Bretagne, de leur trouver de nouveaux acheteurs. Le caractère étroit de sa mission est, à lui seul, le gage de l’exactitude et de la sincérité de ses récits ; Jenkinson ne nous ferait pas grâce d’une étape. Les journées de marche à travers le désert aussi bien que sur l’Océan et sur les fleuves sont supputées avec un soin religieux ; les incidens dramatiques ne viennent qu’en seconde ligne. L’intrépide et calme voyageur se garderait bien d’ailleurs de voir un drame dans charpie péril encouru, dans la moindre épreuve surmontée. Il raconte simplement ce qu’il a simplement et héroïquement souffert. On peut saluer, dans ce mandataire des marchands drapiers de Londres, le précurseur de Mungo-Park et de Livingstone. De tels hommes, quand il le faudra, seront de taille à se mesurer avec les plus vaillants chevaliers de l’Europe.

La reine Marie et le roi Philippe avaient tenu à reconnaître dignement la courtoise munificence d’Ivan IV. Le Primerose