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pour faire peu de chemin. Une éclaircie lui permit heureusement, vers le soir, de rétablir sa voilure et de serrer le vent pour redescendre au sud, le long de l’île Vaigats. Le brouillard et la pluie vinrent alors de nouveau envelopper la pinnace. Il fallut s’en fier à la sonde pour se tenir à une distance convenable de la terre. Le 12 août seulement, la brume se dissipa, et une jolie brise de nord-est conduisit le Searchthrift près de l’extrémité sud-ouest de l’île Vaigats. Stephen Burrough n’espérait plus rencontrer de Russes, — les lodias de Kouloï, comme celles de Kholmogory, faisaient probablement à cette heure route directe pour le port ; — Stephen se flattait de pouvoir encore s’aboucher avec quelques chasseurs samoïèdes. Le canot qu’il s’empressa d’envoyer à terre revint bientôt à bord. Cette embarcation n’avait rencontré nul indice qui pût faire soupçonner que des êtres humains se fussent attardés sur une côte que la neige couvrait déjà toute entière de son blanc linceul. Les Samoïèdes eux-mêmes s’étaient retirés vers le sud. Le 13 août, le vent souffla de l’ouest, et les Anglais durent, à travers la brume qui persistait toujours, aller chercher sur un autre point de la côte un meilleur mouillage. Celui qu’ils occupaient ne les défendait que contre le vent d’est. Ils firent route ainsi pendant quelque temps., à l’aveugle ; puis jugeant à l’état de la mer qu’ils se trouveraient désormais suffisamment abrités, ils laissèrent à tout hasard retomber leur ancre. Quand le ciel s’éclaircit, ils reconnurent qu’ils étaient entrés dans un long bras de mer, — probablement dans la baie de Liamtehina[1]. — Le 19, à trois heures de l’après-midi, la brume se dissipa et le vent vint à l’est-nord-est ; le Searchthrift en profita sur-le-champ pour appareiller.

« Nous fîmes ainsi 8 lieues au sud-quart-sud-est, dit Stephen Burrough, pensant apercevoir les dunes que nous avions reconnues un mois auparavant à l’est de l’embouchure de la Petchora. ». A sept heures du soir, les dunes n’avaient pas encore paru. Stephen Burrough jugea prudent de tirer au large. Que n’eût-il pas donné pour faire en cette crise la rencontre d’un autre Gabriel ou d’un second Loshak ! Mais il ne lui restait plus d’autre ami que la sonde, d’autre conseiller que son astrolabe, et ces deux guides muets lui recommandaient avant tout une sage méfiance. Stephen Burrough semble avoir éprouvé ici une émotion que trahit rarement sa relation aussi froide que fidèle : « Nous serrâmes, dit-il, notre grand’voile, — car le vent augmentait toujours, — et nous gouvernâmes, sous notre seule misaine, à l’ouest-nord-ouest, avec des vents d’est-nord-est. A la nuit, il éclata une si terrible tempête que nous n’en avions pas

  1. Cette baie, d’après la carte américaine de 1872, serait située un peu au nord du cap Grebeni, par 69° 56 de latitude nord, 56° 34’ de longitude est.