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encombré d’une énorme quantité de glaces flottantes. Le Searchthrift se décida le premier à continuer sa route à tout risque. Il venait de laisser tomber sa misaine et de mettre le cap au sud-sud-est quand un coup de canon retentit dans la brume, l’Edouard faisait à sa fidèle conserve ses adieux. La pinnace répondit par un coup d’espingole, mais le brouillard était trop intense pour que les deux navires pussent s’apercevoir. Le signal entendu heureusement suffisait. Chaque capitaine avait désormais la faculté de naviguer à sa guise. Le Searchthrift allait poursuivre seul l’aventureux projet ; l’Edouard-Bonaventure se rendait sur la rade de Saint-Nicolas ; il devait y attendre son ancien commandant, Chancelor, déjà parti de Moscou pour Vologda et Kholmogory avec un ambassadeur d’Ivan IV.

Le 9 juin, Stephen Burrough avait traversé de biais la Mer-Blanche et passé sans encombre de la côte des Lapons à la côte des Kerils, de la rive occidentale du golfe à la rive orientale. Un nouveau havre recevait la pinnace. Ce havre, où le Searchthrift mouillait par 8 brasses d’eau, n’était autre que l’entrée de la rivière Kouloï, située par 66° 12’ de latitude. Le 18 juin, Burrough voulut reprendre le large ; le vent du nord le contraignit de rentrer en rivière. Plusieurs bateaux russes s’étaient, pendant ce temps, rassemblés à Kouloï ; chaque jour y amenait de nouvelles lodias, qui descendaient l’une après l’autre le fleuve. Les moindres avaient 24 hommes d’équipage. Bientôt on put compter trente de ces bateaux, tous à peu près semblables. Dans le nombre s’en rencontra un dont le patron, par une singulière fortune, prit en amitié le capitaine du Searchthrift. Ce patron, nommé Gabriel, paraît avoir été doué d’une bienveillance et d’une fidélité peu communes. Il apprit à Stephen Burrough que la flottille réunie à Kouloï avait pour destination Petchora, « importante pêcherie de saumons et de morses. » Il lui fit également comprendre qu’avec un bon vent, il fallait sept ou huit jours pour se rendre de Kouloï à l’embouchure de la Grande-Rivière. Rien ne semblait plus naturel et plus simple que de suivre les lodias quand elles appareilleraient, puisqu’on avait à faire la même route, mais les lodias, avec le vent en poupe, marchaient beaucoup mieux que le Seatchthrift. Le 22 juin, la pinnace et toute la flottille russe cinglaient de compagnie vers le nord. La brise était fraîche et soufflait de l’arrière. Les lodias eurent bientôt pris une très grande avance. Stephen Burrough n’aurait donc pas tardé à se trouver sans guide, si Gabriel ne fût resté fidèle à la promesse qu’il avait faite à son ami, le capitaine anglais, « de me pas l’abandonner et de lui montrer les bancs sur la route » » Dès qu’il vit la pauvre pinnace ainsi distancée, Gabriel n’hésita pas à se séparer de