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de partisans, les routes, comme on disait alors, composées à la façon des compagnies anglaises d’un effectif suffisant pour ne pas courir risque d’être enveloppées, et distribuées de façon à se prêter un mutuel appui. Chacun de ces corps eut soin d’éclairer sa marche par des coureurs, par des chevauls-igneauls, qui, comme l’écrit Christine de Pisan, quieroient çà et là pour prendre garde que l’ost ne fût espiée. C’est une armée ainsi organisée qui élut pour chef Du Guesclin le matin de la bataille de Cocherel. Cette victoire dénota un réel progrès dans la tactique des troupes françaises, et l’honneur en revient avant tout au futur connétable. Par un mouvement tournant et une charge de cavalerie d’un corps tenu en réserve, il écrasa les lignes anglo-navarraises, contre lesquelles s’étaient élancés les gentilshommes français avec leur impétuosité ordinaire ; mais ceux-ci avaient été reçus avec une solidité toute britannique.

Le succès remporté à Cocherel, qui étrenna, suivant l’expression de M. C. Dareste, le nouveau règne, donna tout à coup aux événemens un autre cours : ils tournèrent à l’avantage de la France au moment même où Edouard III, s’autorisant du manque de foi du duc d’Anjou, qui s’était échappé d’Angleterre, rompait une paix mal observée. Il envoyait l’une de ses compagnies soutenir le roi de Navarre. La royauté française, déjà mutilée, était prête à être forcée dans son dernier asile. Irrité de voir repousser ses prétentions sur la succession de Bourgogne, Charles le Mauvais faisait plus que jamais cause commune avec l’étranger. En Normandie, les Navarrais occupaient un certain nombre de châteaux. Des bandes au service du roi de Navarre accouraient de tous côtés. Diverses places sur la basse Seine étaient aux mains des Anglais. Charles y avait donné pour mission au maréchal Boucicaut et à Du Guesclin de déloger l’ennemi de ses positions. Le but fut atteint, Mantes et Meulan furent pris, et, grâce à la victoire de Cocherel, l’ennemi ne put se porter sur Reims, où il aurait empêché le sacre du roi. Charles y en apprit la nouvelle la veille même de son couronnement. Les conséquences de la bataille de Cocherel furent considérables, peut-être encore plus par l’effet moral qu’elle produisit que par ses résultats matériels. Plus d’un chef de ces compagnies, qui nous avaient si cruellement traités, vint offrir ses services à Charles V, et on ne les refusa pas.

Les capitaines de routiers étaient devenus trop puissans pour que, malgré l’horreur que devaient inspirer les dévastations qu’ils avaient commises, on pût mépriser leur concours. Le roi de France leur avait déjà fait des avances ; ils avaient été souvent de sa part l’objet de faveurs particulières. C’est ainsi qu’il offrit à un de ces plus redoutés aventuriers, Croquart, une pension de 2,000 livres et la main d’une riche dame, s’il voulait passer à son service. Arnaud