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Nous savons bien que l’école des mécanistes n’accepte pas cette identité. En nous expliquant comment la nature opère dans la formation et le développement des êtres vivans, M. Robin croit échapper à la métaphysique avec sa formule de la condition d’existence ; mais si toute combinaison de forces, toute composition d’élémens, obéit à cette loi universelle de conservation, n’y a-t-il pas là déjà une sorte de finalité ? Pourquoi cette loi, d’où peut-elle venir ? Quelle nécessité y a-t-il à ce que l’être en voie de formation, sous l’action des causes dont la rencontre a été fortuite, arrive au résultat final, si rien ne l’y pousse et ne l’y dirige ? Quelle nécessité y a-t-il à ce que le monde sorte de l’état rudimentaire pour n’y plus rentrer ? Quoi qu’il survienne, la substance élémentaire des choses étant indestructible, le néant est impossible, et cette loi de conservation que l’on appelle la condition d’existence n’a pas d’application en dehors des causes finales. On ne peut la comprendre que si l’on songe non plus à l’existence de la matière elle-même, mais à l’existence de telle ou telle de ses formes. Alors nous demanderons à l’école mécaniste si sa formule est autre chose qu’un aveu timide et vague du principe de finalité. La théorie de M. Robin nous rappelle, par parenthèse, celle d’un puissant adversaire des causes finales. Spinoza déclare ne point savoir ce qu’on veut lui dire quand on lui parle de fin. Il ne connaît pour le monde qu’une loi : c’est que tout être, ayant une essence déterminée, y persévère. Formule abstraite et dure dans les termes, mais qui n’est peut-être pas aussi exclusive du principe de finalité que l’a cru ce grand esprit. L’essence des choses en effet, dans sa pensée, n’est pas une réalité quelconque, accidentelle et périssable ; c’est la réalité telle que l’entendra plus tard un autre grand esprit, Hegel, la réalité rationnelle et par conséquent adéquate à l’idée. Persévérer dans l’être, c’est persévérer dans l’essence, dans l’idée, dans la raison même de l’être. Voilà comment, par parenthèse, Spinoza a pu faire sortir de son panthéisme une noble et belle morale, à laquelle il ne manque que la conception de l’idéal et la liberté de le poursuivre.

Mais reprenons le problème ainsi posé : toute loi suppose une fin. Quand la science a découvert les lois des choses, et en a déterminé les conditions d’existence, elle a fait son œuvre et peut s’y reposer avec une entière satisfaction. C’est alors que la pensée philosophique s’éveille. Ne pouvant s’arrêter aux conclusions de la science, elle se demande si ces conditions sont les véritables causes de l’ordre admirable constaté par l’observation, et, s’il en est autrement, quelles seraient ces causes. Elle veut savoir en un mot si le comment ne suppose pas un pourquoi. Pourquoi la loi physique de la gravitation, dont Laplace montre si bien l’action mécanique sur la formation de notre système solaire, a-t-elle fait sortir d’une