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recherche des causes ne lui est donc pas interdite. Seulement il y a explication et explication ; il y a cause et cause. L’explication que donne la science se réduit toujours, quoi qu’elle fasse, à montrer comment les phénomènes se produisent. La cause qu’elle parvient à découvrir n’est jamais que la condition sans laquelle les phénomènes ne se produiraient pas. Quand la science a réussi à saisir, à déterminer cette condition ou cet ensemble de conditions, elle nous apprend de quelle manière se passent les faits, rien de plus. Voilà l’espèce de cause que recherche le savant, et ce qui fait la vérité, l’importance des hypothèses cosmogoniques, des théories minéralogiques, des analyses physiologiques dont il a été fait mention.

La question entre la science et la philosophie est donc de savoir si la légitime curiosité de l’esprit est entièrement satisfaite quand il connaît le comment de l’existence des choses, et s’il trouve qu’elle a dit le dernier mot de la pensée du moment qu’elle en a déterminé les conditions. La savante discussion de M. Janet ne clora sans doute point absolument le débat ; mais elle nous fait espérer qu’il en sortira un rapprochement entre les savans et les philosophes qui n’ont point de parti-pris. Nous ne connaissons pas de livre plus propre, au moins dans sa première partie, à faire réfléchir les savans que les théories du mécanisme pur pourraient séduire. Le principe de finalité jaillit de ses analyses avec une force, un éclat, une évidence, qui permet difficilement à la pensée de résister. Et si au lieu de telle œuvre de la nature vivante où l’analogie entre l’art humain et l’industrie naturelle ne semble pas pouvoir être contestée, la philosophie prend pour exemple l’œuvre universelle que l’antiquité a salué du beau nom de Cosmos, ce monde dont la science nous fait voir de plus en plus l’ordre sublime dans l’infinie grandeur de son tout, comme dans l’infinie petitesse de ses parties, comment ne pas reconnaître que cet ordre est la manifestation d’un dessein, d’un plan, d’une pensée supérieure aux principes de la mécanique, de la physique et de la chimie ?

Chose curieuse, l’antiquité, qui avait imaginé le monde ordonné sortant d’un chaos primitif, qui n’avait de cet ordre qu’une idée vague et incomplète, dans son ignorance presque absolue des lois de la nature, croyait presque universellement aux causes finales. Et la science moderne, à qui le cosmos s’est montré dans toute sa beauté et sa majesté, semble perdre de plus en plus de vue cette doctrine à mesure qu’elle avance dans la voie des révélations cosmiques. La raison de cette apparente contradiction est pourtant fort simple. Les grands spiritualistes de l’antiquité, Anaxagore, Socrate, Platon, Aristote, pouvaient dire et disaient : « Voilà le chaos, et voici le monde qui en est sorti. Comment expliquerez-vous que le hasard seul ait présidé au débrouillement de ce chaos ? » C’est ici que le