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produisant sous le seul empire des lois physiques et chimiques. La première condition pour que la vision puisse s’opérer, fait observer M. Janet, est l’existence d’un nerf sensible à la lumière ; mais ce nerf ne servirait qu’à distinguer le jour de la nuit : or, pour discerner les objets, pour voir réellement, il faut un appareil optique, plus ou moins semblable à ceux que peut fabriquer l’industrie humaine. L’œil est une chambre noire dont la rétine est le fond, dont le cristallin est la lentille convergente, dont la cornée est le trou d’ouverture. « Pour que la lumière projette sur la rétine l’image des objets dont elle part, dit le grand physiologiste allemand Muller, il faut que celle qui provient de certaines parties déterminées des corps extérieurs, soit immédiatement, soit par réflexion, ne mette non plus en action que des parties correspondantes de la rétine, ce qui exige certaines conditions physiques. La lumière qui émane d’un corps lumineux se répand en rayonnant dans toutes les directions où elle ne rencontre pas des obstacles à son passage : un point lumineux éclairera donc une surface tout entière, et non pas un point unique de cette surface. » Mais la rétine unie, sans appareil optique, ne verrait rien de déterminé : elle percevrait la lumière et non les images. « En conséquence, ajoute Muller, pour que la lumière extérieure excite dans l’œil une image correspondante aux corps, il faut de toute nécessité la présence d’appareils qui fassent que la lumière émanée des points a, b, c… agisse seulement sur des points de la rétine isolés, disposés dans le même ordre, et qui s’opposent à ce qu’un point de cette membrane soit éclairé à la fois par plusieurs points du monde extérieur[1]. » Le cristallin nous fournit encore un des exemples les plus frappans de la loi de finalité : c’est le rapport qui existe entre le degré de courbure de ce corps et la densité des milieux où l’animal est appelé à vivre. « Cette lentille, dit Muller, doit être d’autant plus dense et plus convexe qu’il y a moins de différence de densité entre l’humeur aqueuse et le milieu dans lequel vit l’animal. Chez les poissons, où la différence de densité entre l’humeur aqueuse et l’eau dans laquelle ils nagent est très faible, le cristallin est sphérique et la cornée plate ; chez les animaux qui vivent dans l’air, la cornée est plus convexe et le cristallin plus déprimé. » Cette loi n’est évidente que si l’on admet que le cristallin a un but, car s’il n’en a pas, il n’y a nulle nécessité physique à ce que sa convexité soit en raison inverse de la différence de densité de l’humeur aqueuse et du milieu. L’œil est une espèce de chambre noire, avons-nous dit ; mais cette comparaison ne donne qu’une idée grossière d’un organe aussi compliqué et aussi délicat dans sa constitution. S’il n’était que cela, il n’y aurait qu’une

  1. Manuel de physiologie, t. II, p. 275, trad. de Jourdain