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Le roi d’Angleterre se faisait naturellement la part du lion : il s’adjugeait le royaume de France proprement dit ; le roi de Navarre avait pour sa part le comté de Champagne et de Brie. Comme les plénipotentiaires ne purent s’entendre au sujet de la Normandie, du bailliage d’Amiens et du comté de Chartres, le traité porta que les deux souverains décideraient eux-mêmes de la possession de ces provinces à leur première entrevue. La France était donc à deux doigts de sa perte, et la nation le comprenait. Après le désastre de Poitiers, le patriotisme s’était réveillé dans la population rurale. Les résistances locales s’organisaient, et ce fut un simple paysan de Longuœil-Sainte-Marie, non loin de Compiègne, Guillaume l’Aloue, qui fit le premier prendre les armes aux gens de la campagne. Les vilains n’entendaient pas se battre, comme les compagnies, pour s’approprier du butin : ce qu’ils voulaient, c’était délivrer le territoire ; ils ne faisaient pas en conséquence quartier aux Anglais qui tombaient entre leurs mains et refusaient de les prendre à rançon ; ils mettaient une sorte de point d’honneur à ne recevoir aucun noble dans leurs rangs. Guillaume l’Aloue perdit la vie dans un combat où ses paysans tuèrent plus de cent ennemis entre lesquels vingt-quatre chevaliers, mais il laissa un valet, le grand Ferré, dont le nom est resté longtemps populaire et qui se chargea de venger son maître, qu’il surpassait encore en force et en bravoure. Là où la disposition des lieux, où quelque fortification fournissait un point d’appui à la défense, les habitans des bourgs et des villages résistaient avec une rare intrépidité. Quand, en 1359, le dauphin fut réduit à faire raser les forteresses du Parisis, qui n’étaient pas en état de tenir contre les agressions de l’ennemi, les habitans de plusieurs localités, de Chambly, de Ris, de Villejuif et autres villages, retranchés dans leurs églises, repoussaient toutes ses attaques. Les pertes si terribles éprouvées par la chevalerie à Poitiers et cette résistance patriotique firent comprendre la nécessité de ne plus dédaigner le secours des vilains. On encouragea l’exercice de l’arc, qui avait été négligé, et il ne tarda pas à se former dans nos villes des compagnies d’archers capables de tenir tête aux tireurs anglais. Sous le successeur de Charles V, on continua d’abord dans cette voie, où nous étions entrés, hélas ! trop tard. Une ordonnance de 1394 prescrivit que, dans tout le royaume, le peuple ne pût plus s’adonner à d’autres jeux qu’à ceux de l’arc ou de l’arbalète. « Et c’était admirable, écrit le religieux de Saint-Denis, de voir l’aptitude du peuple pour cet exercice ; tous s’en mêlaient, jusqu’aux enfans. » J. Juvénal des Ursins ajoute : « En peu de temps les archers de France furent tellement duits à l’arc qu’ils surmontèrent à bien tirer les Anglais ; » mais cette connaissance du maniement d’une arme dont Crécy et Poitiers avaient