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la recherche de la vérité ; c’est le même respect pour les décisions de cette autorité supérieure qui se nomme l’expérience. Les adversaires des nouvelles idées la reconnaissent et l’invoquent, aussi bien que leurs plus décidés partisans. Les défenseurs les plus ardens, les plus éloquens des saines doctrines, M. Caro, M. Franck, M. Bouillier, ne cherchent pas ailleurs que dans l’observation et l’analyse les argumens qu’ils opposent aux hypothèses en faveur dans le monde savant.

Le changement de méthode devait avoir pour conséquence un changement de langage ; les vieux mots devaient suivre les vieilles doctrines. Aussi voit-on la nouvelle génération des esprits que les problèmes métaphysiques intéressent encore, dans le monde savant comme dans le monde philosophique, se défaire de plus en plus des formules et des termes de l’ancienne métaphysique, matière, substance, âme, esprit, etc. Ces mots ont conservé, il faut l’avouer, un tel prestige que pour beaucoup d’esprits ils signifient toute une doctrine, en sorte qu’ils ne semblent pas pouvoir être bannis du dictionnaire de la philosophie sans entraîner avec eux des croyances dont ils seraient inséparables. L’antiquité de ces mots assurément les rend vénérables, et il serait difficile de les éliminer de la belle langue classique que parlent les poètes, les orateurs, les moralistes ; mais nous ne croyons rien exagérer en disant qu’ils sont un sérieux obstacle au progrès des études philosophiques, par le vague, la confusion, l’équivoque qu’ils introduisent sans cesse dans la notion vraiment scientifique des choses. S’ils représentent bien l’état fort imparfait de la pensée ancienne, il est difficile de leur faire exprimer tout ce que la pensée moderne, et surtout contemporaine, a de précis, d’exact, de rigoureux dans ses idées. Il n’en est pas un qui réponde à un objet distinct et défini de la pensée. C’est à tel point qu’aucune philosophie sérieuse ne se sert de ces vieux mots sans commencer par préciser le sens que l’état actuel de la science permet d’y attacher. Voilà pourquoi les penseurs qui tiennent à faire passer dans le langage l’exactitude, qui est la première qualité de la pensée, aiment mieux les laisser dans l’histoire que dans la science contemporaine. On ne saurait croire combien d’obscurités et de malentendus disparaissent avec ces formules dont les écoles ont tant abusé. Pour n’en citer qu’un exemple, encore aujourd’hui ne prétend-on pas définir toute une doctrine par un mot trop fameux, matérialisme ? Et pourtant quel est le philosophe qui ne sait que le mot matière est vide de sens du moment qu’on soumet à l’analyse la prétendue chose en soi, l’entité toute scolastique qu’il signifie ? Il n’y a plus de matérialisme proprement dit pour la philosophie vraiment scientifique, puisqu’il n’y a plus de matière, dans le