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d’état. — Ces lettres sont comme un dialogue perpétuel et charmant entre deux amis qui disputent toujours, en s’aimant toujours davantage, sur la contrariété de certains de leurs goûts. On se figure sans peine ce M. Raulin tel qu’il devait être, attirant M. Doudan par des affinités de mature et l’excitant à la controverse par son goût archaïque en art, par sa recherche inquiète des formes particulières de la beauté et de la vérité, par son romantisme subtil, qui remontait par-delà le moyen âge jusqu’aux madones byzantines. Rien n’est plus agréable que cette discussion qui recommence toujours, que tout sujet ranime, et qui ne s’achève qu’à la mort de M. Raulin, racontée par l’ami survivant avec une émotion qui fait de cette lettre la plus simple, la plus touchante, la plus enviable des oraisons funèbres.

Un des personnages dont le nom parait le moins dans la suscription des lettres, c’est le duc de Broglie : il ne faut pas s’en étonner, puisque, M. Doudan ne quitta presque jamais, et seulement à de courts intervalles, l’hospitalité de cette famille qui était devenue la plus chère habitude de sa vie ; mais on peut dire que la noble et pensive figure du chef de la famille domine et plane sur toute cette correspondance. On sent dans chaque lettre la présence de cette grave personnalité, qui inspirait autour d’elle un sentiment profond formé de sympathie et de respect. Les historiens et biographes futurs viendront chercher ici bien des traits expressifs pour rendre cette physionomie, — Quelle sollicitude, quel détournent, inspirent cette lettre où M. Doudan raconte à Mme la baronne de Staël les efforts qu’il a faite pour réconcilier le duc de Broglie avec la vie, après le coup qui l’a frappé jusqu’au fond de l’âme ! C’est au mois de mars 1840, à un de ces momens d’instabilité ministérielle où M. de Broglie est en vain sollicité de toutes parts, sondé, consulté par les partis en présence dans la chambre et s’agitant sur toutes les avenues du pouvoir. « Quant à sa disposition personnelle, écrit M. Doudan, je le trouve toujours trop porté à donner sa démission de tout au monde et à s’engager irrévocablement à ne se plus jamais mêler de rien activement. Je ne désire certes pas qu’il reprenne jamais cette redoutable activité des affaires, il ne font pas se faire des chagrins de chaque jour, alors qu’on n’a plus rien qui les fasse oublier chaque jour ; mais je le détourne cependant de mon mieux de rien dire d’irrévocable sur cette question des affaires publiques. On ne sait jamais soi-même l’effet de telles paroles sur l’imagination. Quand les vœux sont prononcés, les grilles légères du couvent paraissent tout à coup pesantes et serrées, l’air semble ne plus passer à travers… Il faut, tant qu’on vit, un mobile extérieur quelconque. La vie intérieure toute seule