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sorti un jour pour aller habiter l’hôtel de Condé, comme professeur d’histoire de M. le Duc. C’était tantôt à l’hôtel de Condé, tantôt à Chantilly, qu’il vit passer tant de personnages de la cour dont il nous a transmis les types dans une immortelle peinture. N’est-ce pas une singulière analogie avec la destinée de cet autre moraliste, notre contemporain, admis de près au spectacle « de la ville et de la cour, » plus mêlées du temps de Louis-Philippe que du temps de Louis XIV ? N’y a-t-il pas enfin ce trait commun entre les deux auteurs, quel que soit l’intervalle que mettra entre eux la postérité, que tous les deux « écrivent par humeur, que c’est le cœur qui les fait parler, qui leur inspiré les termes et les figures, et qu’ils tirent pour ainsi dire de leurs entrailles tout ce qu’ils expriment sur le papier ? » — Encore une fois, il n’y a ici qu’une analogie, non une comparaison. Insister sur cette idée, ce serait lui donner des proportions qui la rendraient fausse ; mais ce rapprochement s’est présenté naturellement à ma pensée, et je l’ai exprimé comme il est venu.


II

Il est temps d’introduire M. Doudan lui-même et sans intermédiaire ; mais avant de le faire parler d’après ses lettres, qui sont déjà ou qui seront demain sous les yeux du public, nous voudrions révéler à ses amis inconnus quelques parties inédites de ses œuvres, et aussi quelques écrits publiés autrefois, injustement submergés dans le grand naufrage du temps et de l’oubli. Il y a là bien des pages marquées du signe le plus authentique du talent, et que l’édition posthume aurait dû, à notre avis, recueillir avec plus d’empressement.

Ce qui me frappe dans tout ce que j’ai lu de M. Doudan, c’est l’art, ou plutôt l’instinct avec lequel, d’une phrase, d’un mot, il agrandit tous les sujets auxquels il touche. Il a cette marque du talent original, qu’il ne se traîne pas dans l’enceinte de la question qu’il traite ou du livre dont il parle : sans les perdre de vue, il s’élance au-delà ; il dépasse d’un coup d’aile ce qui a été l’occasion et le point de départ de sa méditation. Personne, d’un essor rapide et naturel, ne s’élève comme lui de l’intérêt momentané et de circonstance à l’idée grande, aux horizons larges, aux points de vue supérieurs. J’en donnerai quelques exemples où se montre bien le mouvement de cette pensée qui en toute chose cherche son niveau et ne le trouve qu’à une certaine hauteur. Dans une excellente notice sur Mme Necker de Saussure, imprimée en 1855 et restée enfouie dans les archives de la famille, tout d’un coup, au milieu du récit de cette vie studieuse et pure, à propos de l’influence