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jeunes gens, animés comme lui des belles espérances de la vingtième année, remplis des plus nobles ardeurs. M. de Sacy, nous a peint, avec l’enchantement des jeunes souvenirs, ces soirées de la rue des Sept-Voies (je puis assurer à M. de Sacy que cette jolie rue existe encore), et ces promenades au jardin du Luxembourg, où M. Doudan déployait, nous dit-on, « avec cette fraîcheur de jeunesse que la maturité ternit toujours un peu, tout ce qu’on a pu lui connaître de profondeur et de délicatesse d’esprit, de grâce et de séductions. »

Le sujet de ces entretiens, on le devine : c’était moins leur avenir personnel qui intéressait et passionnait ces jeunes gens que l’avenir de leur pays, pour lequel ils faisaient de si beaux rêves de grandeur et de liberté, l’avenir même de l’humanité, à laquelle ils ouvraient une ère radieuse de justice universelle et de progrès raisonnable. Pour préparer cette ère nouvelle, pour en hâter l’heure, ils s’essayaient à l’éloquence dans une conférence qu’ils avaient placée sous les auspices de Montesquieu, et où chacun des jeunes orateurs était tour à tour, selon le sujet ou l’inspiration, Royer-Collard, Foy, Benjamin Constant. D’autres fois c’était l’art, c’était la poésie, dont on suivait d’un regard curieux et troublé les premiers efforts pour s’affranchir et les premières innovations. On relisait ensemble le livre de Mme de Staël sur l’Allemagne, on comparait les littératures étrangères entre elles et avec les nôtres : Shakspeare, Byron, Walter Scott, Schiller, Goethe, ouvraient en tout sens des horizons nouveaux à ces jeunes intelligences et les inclinaient peu à peu vers le romantisme, innocent encore, parce qu’il ne faisait que de naître. On était heureux de discuter sur tous ces grands et aimables sujets, heureux aussi quand par hasard on était d’accord, mais on l’était rarement ; on ne peut pas l’être à trois. Il arrivait souvent à M. Doudan et au jeune Saint-Marc Girardin de penser de même et de sentir à l’unisson, mais on se trouvait alors en face de M. de Sacy, et comment être d’accord avec « ce classique obstiné qui n’admettait pas une autre langue poétique que celle de Racine et qui trouvait à redire (il s’en est repenti plus tard) aux plus heureuses hardiesses de Lamartine et de Victor Hugo ? » Enfin c’étaient les plus hautes questions philosophiques et religieuses qu’on agitait, chacun y apportant la note particulière de son esprit ou l’humeur passagère de son âge, tous trois se croyant très hardis dans des limites qui sembleraient étroites aujourd’hui aux jeunes libres-penseurs du jardin du Luxembourg, celles d’un spiritualisme très décidé, parfois égayé d’une nuance voltairienne, parfois obscurci par quelque nuage d’idée allemande passant sur le fond très clair et très français de ces jeunes esprits.

Un jour, l’aimable petite société se trouva dispersée. Pendant