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breton, qui veut rendre à Bramborc six coups de lance au lieu de trois qu’il requiert.

Ce combat ou plutôt ce tournoi, car il en prend toutes les apparences, a lieu entre le camp anglais et les fossés de la ville. Les hommes des deux partis en suivent avec un anxieux intérêt toutes les péripéties, c’est effectivement plus que le renom de vaillance de deux champions qui est ici en jeu ; il s’agit de l’honneur de deux nations dont chacune a son tenant. L’Anglais a bientôt son écu et son haubert percés. Du Guesclin lui crie : « Bramborc, êtes-vous content ? Par égard pour le duc ici présent, dont j’ai été l’hôte, je vous ai épargné, mais je ne réponds de rien, si vous me résistez davantage. — Recommençons, répond froidement l’Anglais, » qui ne veut pas s’avouer vaincu, et Bertrand charge alors avec plus d’impétuosité que jamais. Son adversaire est renversé et tombe de cheval à demi-mort. « J’espère que vous en avez assez pour votre argent ? dit en ricanant Du Guesclin à sa victime ; si je n’avais pitié de vous, par égard pour le duc de Lancastre, vous n’en seriez pas quitte à si bon marché. » L’esprit chevaleresque n’empêche pas que d’autres fois on ne recoure à la ruse. Les Anglais eussent bien voulu s’introduire dans Rennes par surprise, mais les Bretons n’étaient pas aussi naïfs que les Troyens, dupes du fameux cheval de bois. Le soir même de cette journée où Bertrand se couvrait de gloire, après être rentré triomphalement dans la ville, il conduisit, à la faveur de la nuit, un gros d’habitans pour attaquer la tour de bois, pleine de gendarmes et d’archers, au moyen de laquelle l’ennemi comptait donner l’assaut ; il y jeta du feu grégeois et brûla l’énorme machine.

Du Guesclin fit donc prévaloir chez ses compatriotes la façon de guerroyer des compagnies anglaises, que Philippe de Valois s’était obstiné à ne point imiter, entêté qu’il était des préjugés de la noblesse contre les milices bourgeoises et les compagnies soldées de fantassins. Ce prince rejetait sur elles la responsabilité de la défaite de Crécy ; il prétendait qu’elles lâchaient tout de suite pied et étaient plus embarrassantes qu’utiles. Aussi, à partir de 1347, la noblesse travailla-t-elle plus que jamais à écarter de l’armée les hommes des communes. Elle se bornait à se faire précéder par des corps de sergens que fournissaient les bonnes villes, à se renforcer de quelques compagnies de mercenaires. Au commencement de son règne, le roi Jean ne se départit guère de ces habitudes. C’était avant tout de la cavalerie qu’il se montrait préoccupé ; il essaya de lui, donner une organisation plus régulière et de la répartir par corps d’une composition compacte, telles qu’étaient les compagnies anglaises. En 1351, il ordonna que les chevaliers et autres