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rencontrerait pas de difficultés d’exécution bien considérables ; il aurait seulement l’inconvénient de faire traverser aux voyageurs sur une longueur de 2,000 kilomètres, c’est-à-dire pendant deux jours, des régions désertes où ils seraient exposés aux horreurs de l’hiver sibérien. L’objection principale qu’il soulève, c’est qu’il pénètre en quelque sorte dans le Céleste-Empire par une porte de derrière. Pékin en effet est loin d’être l’entrepôt principal du commerce chinois. La capitale est située dans une province pauvre de ressources et tout à fait en dehors de la grande route des caravanes qui se dirigent vers l’intérieur de l’Asie. — On a encore proposé de faire passer le tracé par Kiakhta et Ourga, route ordinaire des caravanes par lesquelles se font les échanges entre la Sibérie et la Chine. Aucun de ces projets, dit M. de Richthofen, ne peut se présenter à l’esprit de celui qui, se plaçant sur le littoral chinois, regarde dans la direction de l’Europe. Le point de départ naturel d’un chemin de fer transasiatique qui doit traverser l’Empire du Milieu, c’est la plaine d’alluvions si fertile et si bien peuplée qui s’étend entre le Fleuve-Jaune et le Fleuve-Bleu, et dont le commerce intérieur a son centre à Hankow[1], tandis que Changhaï en est le port principal.

La voie ferrée partirait soit de Changhaï, soit de Hankow, et se dirigerait d’abord à Si-ngan-fou, la populeuse capitale du nord-ouest de la Chine, située au centre d’un district houiller ; c’est, par son périmètre, la troisième ville de l’empire, mais peut-être la première par le nombre de ses habitans, car on lui donne un million d’âmes. Si-ngan est le grand entrepôt du trafic avec l’Asie centrale ; pendant trois mille ans, ce fut la résidence des Fils du Ciel. De ce point, la route va au nord-ouest et finit par atteindre l’oasis de Khamil, au pied des monts Thian-chan, où elle se bifurque ; la branche qui suit le versant méridional se dirige vers Kachgar et Yarkand, la branche supérieure aboutit à Kouldja, comptoir important que la Russie possède depuis 1871.

De temps immémorial, le trafic a suivi ces routes, notamment celle du sud, par laquelle la soie arrivait aux Perses et aux Romains ; c’est aussi la route qui conduisit Marco Polo chez Koublaï-Khan. Le voyage de Yarkand ou de Kouldja passe parmi les Chinois pour la chose du monde la plus facile et la plus simple. D’ordinaire on n’emploie pas de chameaux, on se sert de chars attelés de deux mules, que l’on loue, pour ce voyage de quatre-vingts jours, qui vous fait franchir une distance de 3,500 kilomètres, moyennant le

  1. L’ensemble des trois villes de Hankow ou Han-kéou, Han-yang et Ou-tchang, situées au confluent du Han-kiang et du Yang-tse-kiang, a bien encore une population de 1,500,000 âmes. D’après M. l’abbé David, cette population était portée par les relations anciennes à 6 ou 7 millions ; les ravages des taïpings l’ont réduite au quart de ce qu’elle était autrefois.